Deuxième cours de cette initiation à la théorie des distributions, nous allons commencer par définir tout de suite la notion de distribution. Alors comme la formulation faible de l'équation de transport que nous avons vue au premier cours nous le suggérait, l'idée clef conduisant à la notion de distribution consiste à considérer au lieu d'une fonction f continue sur un ouvert de oméga de R N, la forme linéaire qui à phi, fonction de classe C infini à support compact dans oméga, associe le nombre intégral sur oméga de f de x, phi de x, dx qui est un nombre réel ou complexe, selon que f et phi sont à valeur dans R ou dans C. Dans ce contexte, les fonctions phi intervenant dans l'expression ci-dessus seront appelées fonctions test. Alors dans toute la suite du cours on va avoir besoin de manipuler des expressions un petit peu compliquées avec des dérivées partielles, et donc il est bon de se familiariser avec les notations usuelles pour les calculs mettant en jeu des dérivées partielles. Ces notations font intervenir la notion de multi-indice. Un multi-indice alpha, c'est simplement un m-uplet, alpha 1, alpha 2, alpha m, de nombre naturel, d'entier naturel, et on définit en particulier la longueur d'un multi-indice alpha, que l'on note valeur absolue de alpha, qui est simplement égal à la somme alpha 1, plus alpha 2, plus alpha n, la somme des composants du multi-indice. Avec cette notion de multi-indice il est très facile de noter les monômes de degré longueur de alpha où alpha est un multi-indice. En effet, si je prends x qui est un vecteur de R puissance m, donc x égal x1, x2, xm, eh bien on notera x puissance alpha où x est un vecteur de Rm et alpha un multi-indice à m composante, on notera x puissance alpha, le monôme x1 puissance alpha 1 x2 puissance alpha 2, et cetera, xm puissance alpha m. De la même manière, on note les monômes differentiels d'ordre longueur de alpha de la façon suivante: d rond alpha sera d rond 1 puissance alpha 1, d rond 2 puissance alpha 2, et cetera, d rond m puissance alpha m, ou si on préfère suivant les cas, s'il y a risque d'ambiguité, d rond x puissance alpha égale d rond x1 puissance alpha 1, d rond x2 puissance alpha 2 et cetera, d rond xm puissance alpha m, où la notation d rond j ou d rond xj désigne simplement la dérivée partielle par rapport à la variable xj. Alors maintenant, comme les fonctions test sont la brique de base permettant de construire la théorie des distributions, on va commencer par dire quelques mots de l'espace des fonctions test. Soit donc oméga ouvert de R N, je vais considérer des fonctions qui sont à support compact dans oméga et donc j'aurai besoin d'une notation pour désigner le fait qu'un ensemble K est compact inclus dans oméga. Alors la notation classique est de noter cela K avec une double inclusion dans oméga, notation qui signifie que K est un compact de R N et que K est inclus dans oméga, notation qui se lit K compact inclus dans oméga. Pour tout K compact inclus dans oméga on notera désormais C infini indice K de oméga, l'ensemble des fonctions phi, de classe C infini dans oméga, à support inclus dans le compact K. Sur l'ensemble C infini K de oméga, qui est un espace vectoriel sur R ou sur C, suivant que l'on considère des fonctions à valeur réelle ou complexe, on définit une famille de normes de la manière suivante: pour tout entier naturel p et tout phi appartenant à C infini K de oméga, la norme d'indice pK de phi sera définie comme étant le max des d rond alpha phi de x, lorsque x décrit K et que la longueur du multi-indice alpha est inférieure ou égale à p. Alors évidemment l'espace C infini à support compact dans oméga, l'ensemble des fonctions test, n'est pas un espace vectoriel normé. En revanche, ce qui est évident, c'est que l'espace C infini à support compact de oméga est égal à la réunion pour K compact inclus dans oméga des espaces C infini K de oméga. Chacun de ces sous-espaces étant muni de la famille de normes d'indice pK définie ci-dessus. Alors maintenant avec cela on peut définir très simplement la notion de distribution. Une distribution T sur un ouvert oméga de R N est une forme linéaire sur l'espace des fonctions de classe C infini à support compact dans oméga, dont la restriction à chacun des sous-espaces C infini K de oméga est continue pour l'une au moins des normes d'indice pK. Autrement dit, pour tout K compact inclus dans oméga, il existe un entier naturel p indice K et une constante CK positive telle que pour tout phi appartenant à C infini K de oméga, pour tout phi de classe C infini sur oméga à support dans K, la valeur absolue de T appliquée à phi, qui est un nombre, est inférieure ou égale à CK, la norme de phi d'indice pK, K. Maintenant lorsque dans cette condition de continuité l'entier pK peut être choisi indépendamment de K, choisi égal à un entier naturel p, on dira que T est une distribution d'ordre inférieur ou égal à p dans oméga. Autrement dit, une distribution d'ordre inférieur ou égal à p dans oméga est une distribution telle que on peut contrôler la valeur de T appliquée à phi en valeur absolue, par le même nombre de dérivées de phi, quel que soit le support de phi dans oméga. On appellera donc pour une distribution d'ordre fini dans oméga l'ordre de T le plus petit entier p naturel, positif ou nul, tel que T soit d'ordre inférieur ou égal à p. Enfin, une notation traditionnelle dans le sujet est d'utiliser la notation D prime de oméga pour désigner l'espace vectoriel des distributions sur oméga. Commençons par donner quelques exemples de ces nouveaux objets que sont les distributions. Alors le premier exemple bien sûr, c'est celui des fonctions localement intégrables. Alors je rappelle que une fonction mesurable petit f définie presque partout sur oméga, un ouvert de R N, et à valeur dans R ou C, est dite localement intégrable sur oméga si l'intégrale de son module sur n'importe quel compact K inclus dans oméga est fini. L'ensemble des fonctions localement intégrables sur oméga, est un espace vectoriel sur R ou sur C, suivant que l'on considère des fonctions à valeur réelle ou complexe, et il sera noté L1 loc de oméga. Maintenant tout élément petit f de L1 loc de oméga définit une distribution d'ordre zéro sur oméga, en posant T indice f évalué sur la fonction test phi égale à l'intégrale sur oméga de f de x phi de x, dx. Evidemment comme phi est à support compact, l'intégrale sur oméga est en réalité une intégrale sur le compact qui est le support de phi, et par conséquent grâce à la définition des fonctions localement intégrables sur oméga, l'intégrale converge. Deuxième exemple, l'exemple des masses de Dirac. Alors maintenant je prends un ouvert oméga non vide de R N, et je prends un point x zéro dans oméga. Je définirai la masse de Dirac en x zéro par la formule suivante: masse de Dirac en x zéro noté delta indice x zéro évalué sur la fonction test phi, sera tout simplement égal à phi calculé au point x zéro pour tout phi dans C infini à support compact de oméga. On vérifie sans difficulté que delta indice x zéro est une distribution d'ordre zéro sur oméga. Plus généralement, au lieu des masses de Dirac on peut considérer des distributions de Dirac, c'est notre troisième exemple, que l'on va restreindre au cas de la droite réelle. Soit I un intervalle ouvert non vide de R, et x zéro un point de cet intervalle ouvert I. Pour tout p entier naturel, on définit la distribution de Dirac d'ordre p en x zéro par la formule delta d'ordre p en x zéro appliqué à phi égale moins 1 puissance p, phi dérivé p fois, évalué au point x zéro pour tout phi de classe C infini à support compact dans I. Nous verrons plus loin la raison du facteur moins 1 puissance p qui apparaît devant cette formule. Il est évident, avec cette définition, que la distribution de Dirac d'ordre p, delta x zéro p est bien une distribution d'ordre p sur I au sens de la définition ci-dessus. Maintenant, la notion de distribution ainsi construite généralise bien la notion de fonction. En tout cas au moins la notion de fonction localement intégrable. On rappelle que le but de la théorie des distributions était de construire un calcul différentiel généralisé sur des objets plus généraux que les fonctions, en tout cas que les fonctions continues, comme on va le voir, plus général que les fonctions localement intégrables. Alors ceci est expliqué par la proposition suivante, qui dit que étant donné un ouvert oméga de R N, l'application linéaire qui à f associe la distribution t indice f qui est définie sur L1 loc de oméga à valeur dans D prime de oméga, cette application linéaire, elle est injective, mais non surjective. Alors le caractère non-surjectif est évident. Prenons par exemple le cas où oméga est la droite rélle. Et où p est un entier naturel strictement positif. On a vu dans l'exemple 3 ci-dessus que la distribution de Dirac delta zéro p est une distribution d'ordre p. Ici p est strictement positif, donc en aucun cas cette distribution ne peut s'écrire sous la forme T de f, puisqu'une distribution T de f avec f localement intégrable sur oméga serait d'ordre zéro. Autrement dit, la distribution de Dirac d'ordre p en zéro ne peut pas s'écrire sous la forme T de f avec f localement intégrable sur R. Cette distribution n'est pas dans l'image de l'application linéaire qui à f associe Tf. L'injectivité, en revanche, elle est obtenue en vérifiant que, si l'intégrale sur oméga de f de x, phi de x, dx est égale à zéro pour toute fonction s phi de classe C infini à support compact dans oméga, alors f est égale à zéro presque partout sur oméga. Nous avons déjà rencontré un énoncé analogue à celui-ci au cours numéro 1, où on supposait que f est non pas seulement localement intégrable mais continue sur oméga Alors la démonstration dans le cas où f est seulement localement intégrable sur oméga est essentiellement identique, et utilise un petit argument classique en théorie de l'intégration en plus de la démonstration qui a été vue au premier cours pour conclure. Alors dans toute la suite, puisque l'application qui, à une fonction localement intégrable sur oméga associe la distribution qu'elle définit sur oméga puisque cette application linéaire est injective, cela veut dire que la distribution Tf caractérise complètement l'élément petit f de L1 loc, et donc on identifiera systématiquement toute fonction localement intégrable petit f à la distribution Tf qu'elle définit. Continuons avec les exemples de distributions et disons quelques mots de la notion de distribution positive. Alors une distribution T appartenant à D prime de oméga, où oméga est un ouvert de R N, sera dite positive si elle prend des valeurs positives sur les fonctions tests phi de classe C infini à support compact dans oméga qui sont positives ou nulles partout sur oméga. Cette propriété sera notée T positive ou nulle sur oméga. Alors voilà quelques exemples de distributions positives, alors évidemment la masse de Dirac en zéro est une distribution positive sur R N. De même, pour tout f localement intégrable sur un ouvert oméga de R N, il y a équivalence entre le fait que la distribution T indice f est positive ou nulle sur oméga, et le fait que la fonction f est positive ou nulle presque partout sur oméga. Les distributions positives sont importantes, dans la théorie des distributions, à cause du théorème suivant, qui dit que, si je prends un ouvert oméga de R N et une distribution sur cet ouvert oméga, alors si cette distribution est positive ou nulle sur oméga, forcément elle est d'ordre zéro. En particulier, les distributions de Dirac d'ordre strictement positif ne sont jamais des distributions positives bien que la masse de Dirac, qui est la distribution de Dirac d'ordre zéro, soit elle, une distribution positive.