[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Bienvenue dans cette nouvelle vidéo avec Franco. >> Christophe, Qu'est-ce qui s'est passé dans cette affaire? >> Plusieurs demandes en lien avec notre thématique ont été déposées devant la cour d'appel. Nous retenons ici deux points soumis par la défense à l'appréciation des juges. La première demande est que la preuve par les traces d'oreilles est inadmissible en droit. La seconde est que les experts retenus par l'accusation, en Angleterre la Couronne, ont présenté leurs résultats de manière trop favorable à l'accusation en utilisant parfois l'argument fallacieux dit du procureur. Sur la question de l'admissibilité, le tribunal réaffirma le principe très libéral dans le système britannique quant à l'admissibilité. Si tant l'accusation que la défense ont l'opportunité de discuter ou de contester l'élément de preuve technique, la trace d'oreille est alors parfaitement admissible. Sur la question de savoir si les experts ont induit le tribunal en erreur en commettant la transposition du conditionnel comme dans l'affaire Doheny et Adams en 1997, un cas que nous avons discuté durant la semaine 4, le tribunal a conclu en ces termes, il n'y a pas de raison de critiquer la manière dont les experts ont présenté la preuve pour l'accusation. Il n'y a pas de raison de retenir la tansposition du conditionnel, mais c'est la force même des conclusions exprimées par les experts qui nous inquiète. Plus loin, les juges relèvent qu'en première instance, le jury avait été invité à condamner Dallagher sur la seule base de l'expertise de Van Der Lugt sur la trace d'oreille. Or, en première instance, la défense n'avait pas eu la possibilité de recourir à des experts. La défense ne disposait à l'époque d'aucun détracteur. Sur la base des nouveaux témoignages des experts de la défense, dont celui de votre serviteur, invitant à adopter une attitude prudente quant à la force de l'association par les traces d'oreilles, la cour d'appel a estimé que la condamnation de Dallagher n'était pas sûre. En d'autres termes, la cour estima qu'un jury aurait pu rendre un verdict différent s'il avait bénéficié de tous les témoignages, tant ceux de l'accusation que ceux des experts de la défense. Ainsi, le dossier fut renvoyé en instance inférieure. >> Donc le tribunal n'a pas rejeté la trace d'oreille en tant que moyen de preuve, mais ont demandé une égalité des armes entre accusation et défense. De plus, le tribunal n'a pas retenu que la transposition du conditionnel pouvait constituer un risque, contrairement à d'autres domaines comme celui de la preuve génétique par l'ADN. Nous maintenons qu'à notre avis, la logique doit prévaloir, et même si l'erreur de transposition du conditionnel n'est pas immédiatement perçue, il est important de ne pas confondre l'affirmation selon laquelle un éléphant est un animal à quatre pattes avec celle qu'un animal à quatre pattes soit effectivement un éléphant. Revenons à notre affaire. Des analyses ADN ont été demandées suite à la décision de la cour d'appel. Sur la base du dépôt de résidus sur la vitre, les résidus qui constituaient la trace d'oreille, un profil ADN a été obtenu, mais ce profil était différent de celui de Mark Dallagher. Ces nouveaux résultats forensiques ont décidé l'accusation à abandonner la poursuite contre Dallagher, qui fut libéré en janvier 2004. Tasha, pourrais-tu s'il te plaît nous en dire un peu plus sur cette affaire et sur cette preuve ADN? Est-ce qu'elle est réellement la preuve de l'innocence de Dallagher? >> La réalité n'est pas aussi simple, même si effectivement notre intuition nous invite à dire, si l'ADN ne correspond pas, alors on ne condamne pas, un peu à la façon de Johnnie Cochran en 1990 dans l'affaire O.J. Simpson, qui disait, if it does not fit, you must acquit. La presse était prompte à conclure que Dallagher était innocent. Le Times, par exemple, titrait, Le profil ADN obtenu à partir de la trace d'oreille prouve que cela ne pouvait pas être l'oreille de Dallagher. De son côté, le Guardian titrait, Un profil ADN obtenu à partir de la trace d'oreille prouve que ce n'était pas Dallagher. Et à propos de cette même affaire, dans l'édition du 23 janvier 2004, le même journal titrait, Une erreur judiciaire grotesque. En 2009, même la Commission législative pour l'Angleterre et le Pays de Galles se référait à ce cas en indiquant, je cite, Cependant, au second procès de D en 2004, l'accusation n'a eu d'autre choix que d'abandonner les charges, car l'ADN provenant de la trace d'oreille prouvait de façon irrévocable qu'elle avait été laissée par une autre personne et non pas par D. À propos, pour ceux qui ne connaissent pas la Commission législative, c'est un organisme indépendant qui est chargé d'examiner régulièrement les lois en Angleterre et au pays de Galles afin de recommander les réformes nécessaires. Mais, me direz-vous, pourquoi ne pouvons-nous pas simplement déduire que la trace n'est pas celle de Dallagher, puisque l'ADN provenant de la trace d'oreille ne lui correspond pas? Pourquoi ne peut-on exclure cette possibilité catégoriquement? Eh bien pour deux raisons. Premièrement, il n'est pas certain qu'une personne qui met son oreille sur une vitre laisse assez d'ADN pour qu'on puisse détecter son profil génétique. Et en effet, des études ont montré que sur 60 traces d'oreilles provenant de trois donneurs différents, une seule trace avait mis en évidence le profil ADN du donneur. Il y avait beaucoup de bruits de fonds, de l'ADN qui ne correspondait pas au donneur, qui a été retrouvé sur ces prélèvements. Deuxièmement, les vitres ne sont pas exemptes d'ADN. À l'époque de l'investigation, en 1996, ni les investigateurs, ni les scientifiques forensiques ne se doutaient de l'ultra-sensibilité qu'auraient les analyses ADN utilisées en 2004. Les procédures anti-pollution étaient donc embryonnaires à cette époque. Cela signifie qu'il est possible que de l'ADN exogène, c'est-à-dire sans lien avec l'affaire, ait été présent sur cette vitre, voire même sur le pinceau utilisé pour révéler la trace. En effet, une étude faite sur les pinceaux utilisés pour révéler les traces ont montré des résultats inattendus. Premièrement, qu'il y a transfert secondaire d'ADN. Deuxièmement, que plus la zone poudrée est grande, comme c'est le cas pour une trace d'oreille, plus le risque de pollution et grand. Et troisièmement, un contact entre le pinceau et des fluides biologiques tels que du sang ou de la salive augmente fortement la probabilité de transfert secondaire. Quand on tient compte de ces deux sources d'incertitudes, on peut démontrer que la valeur probante en faveur de la défense est plutôt limitée, donc pas aussi forte que cela avait été suggéré par la Commission législative. Toutefois, comme on l'a vu avec l'affaire Nealon la semaine passée, cet élément soutient la proposition de la défense. La complexité réside ici dans la difficulté de monter sur cette base dans la hiérarchie des propositions. On peut établir que l'ADN provenant de la trace d'oreille n'est pas celui de Dallagher si on admet qu'il n'y a pas eu d'erreur, mais on ne peut pas vraiment en inférer directement les actions dont résulte cet ADN. Comme il existe plus d'un mécanisme de transfert ou de présence pour cet ADN, si on veut progresser dans la hiérarchie des propositions, on doit faire preuve de prudence et utiliser les connaissances des expertes et des experts à ce sujet. >> Merci Tasha. Résumons les points que nous avons mis en évidence grâce à l'affaire Dallagher. Nous avons discuté quels étaient les éléments nécessaires pour identifier une personne à partir d'une trace. Pour identifier une personne comme étant la source de la trace, et donc pour se prononcer de façon catégorique, il faut non seulement tenir compte de la probabilité des résultats en fonction des deux propositions, mais aussi tenir compte de la possibilité des propositions elles-mêmes. Rappelons que la probabilité des propositions dépend des autres éléments de l'affaire, qui ne sont généralement que connus par le tribunal et qui sont de son domaine de compétence. Un autre élément qui est décisif est qu'on doit considérer les conséquences positives et négatives qui découlent de la prise de décision, identifier ou ne pas identifier. C'est au tribunal, et donc à la justice, de considérer et de quantifier ces aspects. Maintenant que vous avez été exposés à ces éléments, vous avez conscience des raisons pour lesquelles il a été jugé que l'identification était en dehors du champ d'application du guide de l'ENFSI. En effet, cette décision va bien au-delà de l'évaluation des résultats. Les décisions catégoriques comme l'identification, que ce soit pour des traces d'oreilles, l'écriture, l'ADN, les armes à feu ou n'importe quel autre type de trace, exigent non seulement qu'on combine la valeur des résultats scientifiques avec les autres éléments du cas, mais également requiert qu'on tienne compte des conséquences de la décision d'identifier ou de ne pas identifier. Il en découle donc clairement que l'identification est du stricte domaine du tribunal. Sur la base de ces éléments, on comprend pleinement la position de certains laboratoires qui ne proposent pas d'identification. Vous pouvez donc justifier pourquoi les experts ne devraient pas identifier des personnes ou des objets sur la base de traces. Merci Christophe et merci à vous tous pour votre attention. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE]