[MUSIQUE] Bonjour. L'objectif de cette leçon est de préciser la notion de planification des mobilités, d'en préciser les principales caractéristiques et les limites. Tout d'abord, l'expression concerne les mobilités, c'est-à-dire pour nous les déplacements physiques à la surface du territoire, des individus, mais aussi des marchandises et des autres biens matériels. Ce que nous entendons par mobilité dans ce module de formation sera précisé par Vincent Kaufmann dans une autre vidéo. Je n'y reviendrai pas, sauf pour insister sur le fait que sur un territoire, à l'échelle d'une ville par exemple, les mobilités des individus et des marchandises évoluent dans le temps. La population de la ville peut grossir, certaines zones auparavant délaissées s'urbaniser, des routes ou des services de transport sont créés ou réaménagés. La proportion de jeunes ou de personnes âgées varie, certains groupes s'enrichissent ou s'appauvrisent, les habitudes et les aspirations des individus se transforment. Toutes ces évolutions entraînent un changement progressif des mobilités des individus et des marchandises. Plus ou moins de déplacements liés à l'activité scolaire ou au travail, un usage plus ou moins intensif de la voiture, des loisirs plus ou moins centrés sur le domicile, sur les quartiers centraux de la ville, ou au contraire dans les zones rurales des alentours, ce sont ces transformations plus ou moins rapides, mais plutôt structurelles qu'épisodiques que la planification des mobilités essaie de saisir et d'orienter. Orienter, car les pouvoirs publics gestionnaires des territoires urbains sont en permanence conduits à faire des choix en matière de mobilité. Ils décident par exemple d'élargir une rue ou de la réserver aux piétons. Ils acceptent ou refusent la construction de logements supplémentaires dans un quartier. Ils organisent, limitent et rendent payant le stationnement, ou pas. À travers ces choix, les pouvoirs publics poursuivent des objectifs souvent multiples qui traduisent leurs orientations politiques, mais qui doivent aussi s'efforcer de répondre aux besoins et aux aspirations des populations et des activités de la ville. La planification des mobilités se situe donc à la rencontre entre les évolutions des pratiques de mobilité sur un territoire d'une part et la réalisation des objectifs d'une politique urbaine d'autre part. La planification est donc un outil des politiques publiques. Selon les territoires considérés, elle pourra être du ressort de l'État national, d'une autorité régionale ou des responsables locaux d'une agglomération. Planifier, c'est mettre dans un plan, c'est mettre sur le papier une intention, un projet. La planification est donc composée de deux dimensions distinctes, mais indissociables. Elle consiste d'abord en un effort d'anticipation des transformations à venir, de prévision de ce qui va se passer. Mais elle doit traduire aussi une intention, une volonté de modifier l'avenir prévisible, même s'il s'agit seulement de s'y adapter. La planification est donc pour partie un effort de projection dans le futur, de prévision ou de prospective, selon l'éloignement de l'horizon temporel considéré et l'ampleur des transformations attendues. Elle implique donc de mettre en oeuvre des techniques adéquates pour permettre d'anticiper sur les évolutions, analyser les évolutions en cours pour en comprendre les déterminants, formaliser ces évolutions sous une forme numérique ou qualitative pour en déduire leurs prolongements ou leurs inflexions, pour repérer aussi les signaux faibles qui peuvent indiquer les ruptures à venir. Comme l'illustre le schéma, on est ici dans une démarche ascendante où le futur est déduit du présent et des évolutions passées. En prospective, on parle de Forcasting. Comme l'illustre le schéma, on est ici dans une démarche ascendante où le futur est déduit du présent et des évolutions du passé. En prospective, on parle de démarche Forcasting. Mais la planification traduit aussi une vision de l'avenir, une volonté de le transformer. En ce sens, la planification n'est pas seulement un constat passif, mais une action délibérée, un véritable moyen d'intervention publique. En termes de méthode, cette approche partira plutôt de l'intention, de la vision du futur souhaité ou parfois redouté, pour décliner les éléments qui peuvent la rendre possible ou ceux qui peuvent permettre de l'éviter, pour tracer dans une logique descendante la trajectoire qui pourrait relier ce futur désiré au présent. C'est la démarche prospective de Backcasting, illustrée par ce second schéma. Au sens où elle traduit une volonté d'agir sur le futur, la planification doit prendre en considération l'ensemble des moyens d'intervention sur les transports et la mobilité. Ceux-ci sont variés, mais c'est une caractéristique du secteur toujours importante. Plusieurs raisons expliquent ce rôle important des autorités publiques sur la gestion des mobilités. Tout d'abord, le fait que la mobilité est habituellement une activité dérivée motivée par la réalisation d'autres activités humaines dont elle devient souvent une condition déterminante. Un autre aspect est que la mobilité concerne en premier lieu l'espace public, les routes, les rues, les trottoirs. Enfin, la mobilité est fortement consommatrice de ressources. Le système de transport demande d'importants investissements. Il est fortement générateur d'externalités négatives, c'est-à-dire de bruit, de pollution atmosphérique, d'insécurité, de réchauffement climatique. Enfin, il mobilise des surfaces importantes, souvent le tiers de l'espace urbain. Indispensable, mais complexe et fortement contrainte, l'obligation de garantir les conditions de la mobilité est toujours, sous des formes certes différentes selon les contextes politiques, économiques, historiques ou géographiques, une fonction importante de la puissance publique. Pour exercer ce rôle, celle-ci dispose de multiples moyens. L'investissement dans les infrastructures routières ou de transport collectif, la réglementation et son application, le code de la route, les conditions d'exercice des différentes professions, l'implication dans la gestion des équipements et des services de transport, la tarification des transports urbains, du stationnement, de l'usage de la voiture, ou encore la recherche et l'innovation. C'est ainsi l'usage de tous ces moyens que la planification doit organiser dans la perspective des objectifs poursuivis. Les pouvoirs publics disposent aussi d'autres moyens d'action moins directement centrés sur le transport ou les déplacements, mais qui peuvent y avoir une influence très forte. Par exemple, en matière d'urbanisme, la localisation des grands équipements, des hôpitaux, des universités, ou la définition des zones d'habitat, de commerce et d'activité, de leur emplacement, mais aussi de leurs caractéristiques, leur densité, ou encore en matière sociale une politique d'aide aux populations démunies, la définition de normes d'accessibilité pour les personnes handicapées. À l'inverse, les choix de la puissance publique en matière de transport et de déplacement peuvent aussi influencer fortement d'autres aspects de la politique urbaine. C'est souvent le cas par exemple en matière de santé publique à travers une plus ou moins bonne maîtrise de la pollution et des nuisances, en matière de préservation des espaces verts et des zones agricoles, ou encore concernant le dynamisme commercial des zones du centre-ville. La visée transformatrice de la planification des mobilités implique aussi, quel que soit l'acteur public qui en conduit l'élaboration, de prendre en compte les actions et les choix de l'ensemble des parties prenantes du système de mobilité. En effet, les territoires et particulièrement les territoires urbains sont aujourd'hui des constructions complexes dont les composantes sont en forte interaction. L'action des différents pouvoirs publics n'est pas forcément homogène ni même consensuelle quant aux objectifs poursuivis. Et la planification devra prendre en compte cette dispersion et la limitation des moyens mobilisables dans telle ou telle direction spécifique qui en résulte. Mais par delà les acteurs publics, l'évolution des mobilités est aussi déterminée par les choix opérés par les acteurs privés ou individuels. Dans la limite de la réglementation, de leur possibilité financière, ou de celle de leurs ressources culturelles, les individus peuvent aspirer à des lieux de résidence ou à des modes de vie qui ne sont pas forcément convergents avec les objectifs publics. De même, les entreprises d'un territoire disposent, dans les pays d'économie libérale, d'une large autonomie pour développer leurs stratégies d'investissement, de localisation, ou encore concernant l'organisation du travail. Enfin, l'irruption des grands acteurs de l'économie du numérique, les Google, Uber, Amazon, et d'une multitude d'acteurs moins globaux, mais qui tous affichent leurs ambitions en matière de développement de nouveaux services illustre aujourd'hui clairement l'influence de ces acteurs économiques, et la nécessaire prise en compte de leur intervention dans les devenirs de la mobilité. La planification est donc un exercice d'interface entre ces acteurs multiples. Elle se doit donc, sous peine de devenir rapidement sans objet, de croiser les points de vue, les approches, les projets et les aspirations différents qui façonnent les mobilités et plus largement la ville. En fonction des procédures, des organisations politiques et des pratiques délibératives, cette hybridation s'opérera de façon différente selon les territoires. Il reste cependant que la planification des mobilités incorpore forcément une dose de procédures délibératives formelles ou informelles, de dialogue entre les parties prenantes. Il reste aussi qu'en amont de ces dispositifs politiques, la planification des mobilités est aussi un geste technique qui peut également intégrer les différents points de vue à ce niveau. La pluralité des approches techniques et scientifiques mobilisées dans une démarche de planification est alors essentielle. Et je vous remercie pour votre attention et vous donne rendez-vous pour la prochaine leçon.