Bonjour à tous.
Je me présente, je suis Mathieu Gardrat,
chercheur au Laboratoire Aménagement Économie Transports de Lyon,
et je vais aujourd'hui vous parler de la modélisation des mobilités
et de son utilité en planification.
Dans cette séance, je vais dans un premier temps vous parler des utilisations d'un
modèle et des caractéristiques qui font qu'un modèle fonctionne,
pour ensuite vous donner des exemples de modèles et leur mise en œuvre.
Un modèle permet de quantifier et qualifier un phénomène donné afin de
nourrir le processus décisionnel en planification.
La pertinence d'un modèle se retrouve tant dans ses possibilités de diagnostic d'une
situation présente que pour projeter les effets futurs d'une décision sur un
territoire.
Pour un diagnostic, un modèle permet de construire un corpus de données cohérent
lorsque les mesures d'un phénomène s'avèrent manquantes.
De surcroît, le modèle permet le plus souvent de réaliser un diagnostic à
moindre coût relativement à un recueil de données dédiées, par exemple, une enquête.
Il peut ainsi compléter, voire se substituer à un diagnostic,
même si rien ne remplace une observation de terrain.
Pour une utilisation prospective, le modèle joue le rôle d'une sorte de boule
de cristal à laquelle on pose une question.
Ces questions étant typiquement, que se passera-t-il si les tendances actuelles
perdurent, en termes de transport ou de consommation, par exemple?
Ou bien, que se passera-t-il si j'introduis un élément nouveau,
en agissant sur un système donné, un aménagement spécifique, par exemple?
Le modèle nous donne alors des informations sur le besoin en termes
d'actions, sur les éléments sur lesquels il faut agir, voire comment il faut agir.
Mais n'oubliez pas que ces éléments ne se suffisent pas à eux-mêmes et qu'ils
doivent faire l'objet d'une analyse critique.
En effet, un modèle reste une simplification de la réalité soumise à des
hypothèses plus ou moins justes qu'il est nécessaire de confronter.
Pour qu'un modèle fonctionne correctement, il est nécessaire que
celui-ci réagisse de manière cohérente aux données qui lui sont présentées,
tant pour un diagnostic que pour une projection.
Ici, un travail essentiellement statistique est réalisé,
mais il peut également s'appuyer sur une expérience plus qualitative.
Par ailleurs, un modèle n'est pas adapté à toutes les situations.
Les résultats produits doivent être pertinents au regard d'une
problématique posée.
Il est évident qu'un modèle météorologique n'est pas adapté à la mesure du trafic.
Ce sont des thématiques bien différentes,
bien que l'une ait une influence sur l'autre.
Pour le cas particulier du transport,
certains modèles se concentrent plutôt sur le trafic,
d'autres sur les caractéristiques socio-économiques de la mobilité.
Il est donc fondamental de bien identifier la problématique choisie,
avant de mettre en œuvre un modèle.
L'objectif final est de mesurer un phénomène et de l'ouvrir au débat pour le
plus grand nombre, au regard des objectifs fixés dans les politiques publiques,
qu'il s'agisse d'élus,
de techniciens, d'entreprises de secteurs et de compétences variées.
Afin d'illustrer la construction d'un modèle et son utilité dans le processus
d'aménagement, je vais vous exposer deux exemples de modèles, l'un pour le
diagnostic, le modèle Freturb, l'autre pour la prospective, le modèle SILOGUES,
et leur mise en œuvre dans un cas concret, celui du quartier de la Confluence à Lyon.
Ces exemples auront pour point commun la planification du transport de marchandises
en ville.
Le transport de marchandises est resté, jusqu'à une période récente,
un inconnu de la mobilité urbaine et du système urbain.
Ce déficit cognitif fut comblé dans les années 1990 grâce à des enquêtes reposant
sur une méthode d'observation originale.
L'intérêt de cette méthode d'enquête est qu'elle fut originalement conçue pour
nourrir un modèle de simulation du transport de marchandises en ville.
Ces enquêtes, réalisées à Bordeaux, Dijon et Marseille,
ont permis de mettre en exergue des invariants entre les différentes villes
enquêtées, au regard des pratiques de transport de marchandises.
En effet, il est apparu évident qu'une boulangerie, un restaurant ou un immeuble
de bureau ont un fonctionnement logistique similaire à Dijon,
à Bordeaux ou Marseille.
Nous voyons ici, par exemple, que la distance entre deux arrêts est
dépendante de la taille des tournées, quelle que soit la ville étudiée.
Ces invariants ont ainsi servi de base à la construction d'un modèle nommé Freturb.
Nous percevons donc ici la nécessité d'avoir un corpus cohérent de données pour
calibrer un modèle à l'aune d'un sujet spécifique,
ici le transport de marchandises en ville.
La force de Freturb est qu'il est utilisable dans n'importe quelle ville
française à partir de données aisément disponibles et très désagrégées.
Premièrement, le fichier SIRENE, un fichier décrivant tous les établissements
d'un territoire donné, et disponible à l'échelle nationale.
Et deuxièmement, un fichier de zonage,
constructible à partir de données libres d'accès de l'IGN et de l'INSEE,
qui caractérise géographiquement la zone d'étude.
Freturb fonctionne en transposant les résultats des enquêtes dans un
territoire donné,
grâce à une recontextualisation de la situation géographique de la zone étudiée,
et l'application des profils logistiques déterminés par l'analyse des enquêtes.
Il permet ainsi de connaître et de caractériser avec
finesse les opérations de livraison et d'enlèvement réalisées par les véhicules
de transport des marchandises,
les distances réalisées par ces mêmes véhicules, leurs durées de stationnement,
les polluants qu'ils émettent, ou encore les marchandises qu'ils transportent.
La transférabilité de ce modèle et son efficience font qu'aujourd'hui,
le modèle a été et est utilisé dans plus de 40 territoires urbains, en France et à
l'étranger, notamment en Belgique, en Suisse, au Portugal et au Brésil.
Freturb est un outil pertinent pour les diagnostics,
mais a été développé sous le nom de SILOGUES,
pour réaliser des scénarios prospectifs de logistique urbaine.
Prenant en compte à la fois les modifications dues à la croissance urbaine
et les évolutions technologiques et organisationnelles du transport de
marchandises en ville, SILOGUES est bâti autour du modèle Freturb,
ce qui lui permet de réaliser des diagnostics, mais offre également la
possibilité de simuler la mobilité urbaine des marchandises dans le futur.
La simulation prospective implique d'approcher de manière
systémique l'évolution temporelle de la mobilité urbaine des marchandises.
Si, comme pour Freturb, l'analyse statistique reste un incontournable,
l'acceptabilité de certains scénarios d'évolution organisationnelle,
de solutions technologiques,
doit être discutée par d'autres moyens dans une approche plus qualitative.
Dans le cas présent, ce recueil de données est réalisé grâce à des entretiens et un
suivi des expérimentations en logistique urbaine.
Ces éléments permettent de calibrer des interactions et des
mécanismes de régulation qui permettent de construire une projection cohérente.
Si le modèle est plus complexe, il convient d'en préserver l'opérabilité,
notamment en gardant des sources de données accessibles et en limitant au
strict nécessaire les interventions de l'utilisateur dans la mécanique de
simulation.
C'est pour cela que le zonage et le fichier SIRENE restent des intrants
privilégiés, et que l'utilisateur viendra seulement préciser les objectifs qui sont
relatifs aux politiques publiques mises en place sur son territoire.
Sur la base des scénarios fixés par l'utilisateur,
les données socio-économiques renseignées et des mécanismes définis dans le modèle,
SILOGUES produit des indicateurs permettant de quantifier les contraintes
et moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs fixés
dans les politiques publiques.
Passons à présent à un exemple de mise en œuvre de l'outil SILOGUES,
dans lequel nous allons suivre les implications logistiques de la mutation
d'un territoire de Lyon, la Confluence.
La Confluence à Lyon est historiquement un territoire à caractère industriel et
logistique, dont l'équipement emblématique était le marché d'intérêt national.
Pour revaloriser le quartier dès 2005, des sites industriels et logistiques sont
reconvertis et le marché de gros est relocalisé en périphérie lointaine,
pour être remplacé par un pôle résidentiel, commercial et tertiaire.
Le projet se décline en deux phases d'aménagement.
La première phase, terminée en 2012, entame la reconversion du quartier
avec l'installation d'un important pôle commercial,
accompagnée de quelques immeubles tertiaires et d'habitations,
ainsi que la relocalisation du marché de gros.
La deuxième phase, prévue en 2025, quant à elle,
doit essentiellement accueillir des immeubles résidentiels et tertiaires,
ainsi que quelques commerces en socles actifs.
Ces changements ont eu et auront un effet extrêmement important sur la mobilité
des marchandises, tant à l'échelle du quartier que de la métropole de Lyon.
Nous nous proposons ici d'étudier par la modélisation, pour les différentes phases
du projet, les pratiques de transport de marchandises qui ont été,
sont et seront celles du quartier Confluence.
En étudiant le quartier avant sa reconfiguration en 1999,
après la livraison de la première phase en 2012, et en construisant deux scénarios
futurs en 2025, nous exposons ici l'impact de la reconfiguration du quartier,
au travers des pratiques de livraison et d'enlèvement desservant le quartier.
Si le secteur du commerce de gros était prépondérant avant le départ du
marché d'intérêt national, il cède sa place aux services,
à l'artisanat et aux petits commerces qui font vivre le quartier.
Puis, en fonction des scénarios retenus, nous constatons des évolutions prévisibles
des pratiques de livraison pour le quartier Confluence.
Le scénario 1 prévoit ainsi le maintien de certaines activités de gros et
industrielles, encore présentes en 2012,
ainsi que la croissance due à la deuxième phase.
Quant au scénario 2, il s'inscrit dans une logique d'éviction totale des activités de
gros et industrielles restantes,
pour les remplacer par des activités de soutien à la population.
Il prend également en compte la croissance de la seconde phase.
Nous pouvons constater en 2025 un niveau d'activité variant assez fortement
selon les scénarios.
Si le scénario 2, le plus apaisé, implique une intensité de transport de
marchandises similaires à 2012, le scénario 1 impacte plus fortement le
quartier que la situation initiale de 1999.
De plus, si le nombre de livraisons et d'enlèvements varie,
leur impact sur la voirie est également variable.
Si initialement l'essentiel des livraisons se réalisait dans l'enceinte du marché de
gros, ces mouvements de marchandises se sont peu à peu déportés sur la voirie,
et en situations gênantes, en double file et en stationnement interdit,
mettant en exergue un manque important d'aires de livraison.
Précisons également que la délocalisation du marché a eu pour
effet d'augmenter les distances parcourues par les véhicules des commerçants,
de bouche notamment, venant s'approvisionner dans le marché.
Les véhicules qui desservent le marché de gros parcourent aujourd'hui en moyenne
environ quatre kilomètres de plus que dans les années 1990 pour
approvisionner l'agglomération.
Nous voyons ici le double effet des changements socio-économiques sur les
pratiques de transport à l'échelle de l'agglomération et du quartier.
Il est important de préciser que ces éléments n'ont jamais été objectivés lors
de la définition du projet.
Sans prise en compte de la mobilité des marchandises,
le projet a finalement pâti de pratiques de stationnement gênantes essentiellement
dues au mauvais dimensionnement du système d'aires de livraison.
De plus, l'effet global sur l'allongement des déplacements, et donc de la congestion
et de la pollution, n'a pas été considéré dans la réalisation du projet.
Le recours à la modélisation aurait ainsi permis d'objectiver ces
éléments pour en limiter les effets néfastes.
Pour conclure ce cours, rappelons que la construction du modèle détermine son
efficience, et que les données de calibrage et les résultats doivent être
cohérents et pertinents au regard des questions que l'on se pose,
sa transférabilité reposant autant sur l'analyse et la reproduction efficace des
mécanismes qui expliquent un phénomène que sur sa facilité de mise en œuvre,
qui dépend autant de facteurs ergonomiques que de disponibilité des données d'entrée.
Comme vous avez pu le voir dans les cours précédents,
un regard systémique est nécessaire pour comprendre efficacement les problématiques
de la ville et de la mobilité.
Ainsi, une approche systémique basée autour de mécanismes d'interaction et de
régulation donne la capacité de projeter des tendances ou des éléments de rupture à
un horizon donné.
Par ce souci de systématisation, un modèle permet donc de monitorer,
à l'aide d'indicateurs, les évolutions d'un territoire au regard d'un phénomène,
de dresser un diagnostic pour une situation présente,
et d'estimer les impacts d'une décision à un horizon donné.
Mais n'oubliez pas que ces éléments restent toutefois à considérer avec
précaution, et ne remplacent jamais une réflexion construite et débattue.
Merci à vous pour votre attention et j'espère que ces éléments vous permettront
de mieux comprendre et utiliser les outils de modélisation.
Au revoir.