Bonjour.
Aménager les territoires nécessite une bonne connaissance des individus,
de leur comportement, de leur mode de vie.
Mais comment définir et décrire un mode de vie?
Nous considérons qu'il regroupe l'ensemble des pratiques des individus auxquelles on
associe des valeurs, des attitudes, des préférences.
L'idée de mettre en évidence une certaine cohérence entre des activités réalisées,
les déplacements dans l'espace,
et un discours plus général évoquant les préférences et valeurs des individus.
Ce discours va permettre de justifier des choix de lieu de résidence,
mais aussi d'équipement en moyens de transport,
ou encore de l'importance accordée à la vie professionnelle ou à la vie privée.
Cependant, dans certains cas, il arrive que les discours et les comportements ne
soient pas en phase, mettant en évidence une fracture entre cognition et action.
Durant cette séance, nous discuterons les situations de dissonance résidentielle
qui sont des situations dans lesquelles il y a incohérence entre le lieu
effectif de résidence et les préférences des personnes pour un lieu dans lequel ils
aimeraient habiter.
En mettant en évidence ces dissonances résidentielles, nous souhaitons révéler
des situations de personnes qui n'arrivent pas à se loger où elles le souhaiteraient,
identifier les éléments qui sont à l'origine de ces dissonances,
mettre en évidence des marges d'intervention pour les pouvoirs publics.
Choisir un logement, c'est choisir un cadre de vie que l'on peut décomposer en
deux éléments, le logement, ainsi que le quartier proche.
Le choix du logement va porter sur le fait de choisir un type de bâti,
comme l'appartement ou la maison individuelle, sur la présence d'un jardin,
d'un balcon, sur l'esthétique intérieure,
ou encore la vue que l'on peut avoir depuis ce logement.
Le quartier est l'environnement immédiat du logement.
On peut y chercher le calme, des voisins sympatiques, des services et commerces,
une proximité des autoroutes, de la gare,
d'une station de métro, ou encore du lieu de travail.
Souvent, le choix résidentiel se transforme en véritable casse-tête.
Ce n'est pas parce qu'on veut habiter à un endroit qu'il est possible de le faire.
Le choix résidentiel est au centre de nombreux arbitrages et contraintes qui
dépassent l'échelle individuelle de la personne et se situe souvent au niveau du
ménage.
En effet, dans les couples, le choix du logement se fait à deux.
Il y a ce que l'on veut, que l'on traduit par des préférences résidentielles,
et ce que l'on peut faire,
notre champ des possibles et les contraintes qui le définisse.
Par exemple, le choix résidentiel peut être contraint par l'offre technique du
territoire comme le fait d'avoir suffisamment accès à des logements,
des nœuds de transport, ou l'emploi.
Il est également influencé par l'individu lui-même, ses ressources financières,
sa capacité à se déplacer, ou encore la taille de son ménage.
Par exemple, souhaiter habiter une maison particulière au cœur de Paris va
nécessiter des ressources financières élevées dont peu de personnes bénéficient.
Cette opposition entre préférence résidentielle et action nous permet
d'expliquer le concept de dissonance résidentielle à travers lequel
nous présenterons trois exemples.
Il concerne les personnes qui aimeraient vivre en ville, mais vivent à la campagne,
les personnes qui aimeraient un jardin, mais qui n'en ont pas, et enfin les
personnes qui aimeraient vivre à la campagne, mais qui résident en ville.
Nous allons comparer les individus dissonants aux reste des individus tout en
utilisant un dénominateur résidentiel commun.
Par exemple, nous allons comparer, parmi les personnes qui habitent en ville,
celles qui auraient préféré habiter à la campagne et celles qui n'affichent pas de
préférence résidentielle particulière.
Le but est ensuite de comparer le profil de ces deux populations afin d'identifier
les éléments générant l'apparition de dissonance résidentielle.
La ville dense offre une proximité aux services et aux aménités de manière
générale.
C'est un environnement résidentiel de choix pour les personnes qui cherchent une
forte accessibilité à ces services,
par plaisir ou pour des raisons purement fonctionnelles.
La première dissonance que nous vous présentons concerne les individus
cherchant à vivre dans cet environnement dense, mais qui, de fait,
résident plutôt dans les communes à faible densité.
Dans un contexte politique volontariste qui vise à une densification croissante
des territoires, il est important de mieux comprendre pourquoi certaines
personnes alors attirées par ces territoires plus dense n'y habitent pas.
La situation est d'autant plus problématique que les personnes
concernées réalisent davantage d'activités propres à la ville au prix de déplacements
plus longs et plus nombreux.
Ils vont plus au cinéma, en salle de sport,
et visitent beaucoup plus leurs proches que les non dissonants.
Aussi, le besoin de rejoindre et participer à des activités qu'ils
ne trouvent pas forcément dans leur environnement résidentiel engendre une
présence plus faible dans le domicile.
Cette situation de dissonance est favorisée par un profil
socio-démographique permettant d'entretenir la réalisation de nombreuses
activités extérieures souvent éloignées du domicile qui restent énergivores.
Les dissonants sont globalement plus âgés, ont un revenu annuel plus faible,
et sont proportionnellement plus de retraités.
Ils se trouvent aussi dans des ménages et logements plus petits avec des contraintes
liées aux enfants inexistantes.
Leurs faibles revenus ne semblent pas pouvoir leur permettre d'accéder
aux logements de l'urbain dense.
Alors que les nombreux déplacements qu'ils font en direction de la ville
peuvent avoir un coup non négligeable économique, mais aussi environnemental.
Cela met également en lumière la difficulté qu'il y a pour se loger à
l'heure actuelle, notamment dans l'urbain dense.
La possession d'un jardin autour du logement exprime la recherche de nature,
d'un espace de détente et de plaisir.
Cela montre une envie d'investir notre chez-soi.
Nous proposons de décrire maintenant les situations des individus qui aimeraient un
jardin, mais n'en possèdent pas.
Ces dissonants gagnent 3000 euros de plus par an,
sont proportionnellement plus urbains, sont davantage propriétaires,
et habitent un peu plus loin du centre ville, dans une maison.
Ces différences s'expriment à travers la réalisation d'activités puisque ces
dissonants font beaucoup plus de voyages et de séjours à longue distance.
De manière générale, ils passent également plus de temps
dans le logement que les non dissonants et y font plus d'activités.
Cette survalorisation et ce surinvestissement du logement s'explique
par une pratique plus forte des loisirs dans le domicile, la semaine.
Il est possible qu'en voulant un jardin, ces dissonants profitent davantage du
temps déjà important qu'ils passent chez eux.
En d'autres termes, ils ne passeront pas nécessairement plus de temps chez eux le
jour où ils auront un jardin,
mais la survalorisation du logement n'en sera que plus forte.
Ramener un morceau de nature chez soi, c'est également un moyen de compromis
rapide mais coûteux vers la tranquilité, le calme et le bien-être, ce qui est,
en temps normal, difficile dans la ville dense.
Il faut également retenir que malgré un large champ des possibles pour ces
individus aux revenus élevés, cette dissonance à travers les nombreux
déplacements à longue distance a un coût environnemental élevé.
Ainsi, l'aménagement des villes,
accompagné d'un développement des extérieurs privatifs ou partagés, peuvent
optimiser les pratiques de mobilité et les consommations qui y sont liées.
La recherche de calme, tranquilité et de bien-être se traduit souvent,
lorsqu'il est possible, par le choix de vivre dans le rural.
Les grands espaces verts, l'éloignement de l'agitation et du bruit de la ville,
ainsi que des loyers moins chers permettent aux personnes et notamment aux
ménages avec enfants de pouvoir s'épanouir sans les contraintes liées à la
vie dans l'urbain dense.
Nous nous concentrons ici sur les dissonants qui désirent vivre à
la campagne, mais de fait habitent la ville dense.
Nous constatons qu'en terme d'activités, les dissonants font plus de loisirs dans
le quartier, mais moins d'activités de sociabilité.
En contrepartie, ils investissent davantage leur logement.
Leur mobilité est également différente que les non dissonants.
Ils sont beaucoup plus actifs en voiture,
alors que les non dissonants préfèrent les transports publics.
De plus, ces dissonants font le triple de distance,
soit 1 500 kilomètres par an pour rejoindre leur résidence secondaire.
Ces éléments concernant à la fois le domicile et la mobilité semblent bien
montrer l'attachement moindre de ces individus pour la ville dont ils veulent
s'éloigner.
Il fuient notamment l'urbain pour rejoindre leur résidence secondaire
tout en concentrant leur mobilité autour de l'utilisation de la voiture et non des
nœuds de transport situés à proximité de leur résidence.
À l'instar de l'exemple précédent,
la question du coût environnemental reste importante.
Une optimisation des consommations passerait par l'aménagement de mobilités
facilitées de la ville vers les zones plus rurales afin de reporter l'utilisation
forte de la voiture par les dissonants vers celles des transports publics.
La mise en évidence de ces trois types de dissonances nous a montré que chaque
territoire que l'on aménage est accompagné de ses avantages et inconvénients
ainsi que de ses possibles et impossibles.
En d'autres termes, selon leurs modes de vie, les pratiques des individus seront
plus compatibles avec certains espaces de vie qu'avec d'autres.
Elle nous a également montré l'importance de prendre en compte le mode de vie des
individus afin d'optimiser les stratégies d'aménagement du territoire selon les
objectifs recherchés sur le long terme.
Si c'est la densification qui est désirée, il faudra chercher à élargir le
spectre des modes de vie compatibles avec l'urbain dense,
par exemple en aménagement davantage d'extérieurs privatifs.
Si on cherche à développer la durabilité des déplacements,
il faudra faire en sorte de fluidifier, voire limiter les mouvements résidentiels,
évitant aux individus de chercher trop loin les activités et aménités qu'elles
pourraient avoir au plus proche de leur domicile.
Merci pour votre attention et au revoir.