[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans cette vidéo, nous allons voyager dans le temps et plonger dans l'histoire passionante de la philanthropie. Comme nous l'avons vu avec son étymologie, la philanthropie ne date pas d'hier. Pourtant, en lisant dans les journaux, on a l'impression que le sujet est nouveau en France, et que la philanthropie est un phénomène américain ou anglo-saxon. Ce manque de recul historique est un frein à la compréhension du présent et de l'avenir. Essayons d'y voir un peu plus clair. De tous temps, les pratiques de dons, plus ou moins formelles, ont existé dans toutes les sociétés humaines. Ce que nous savons de l'Antiquité nous indique que le don visible fut souvent le fait de membres riches et puissants de la société. Le don voisinait avec le pouvoir, le justifiait, ou était du moins, une condition de l'harmonie sociale, en finançant : des édifices publics, des fêtes, et certains besoins primaires du peuple. C'est ce que certains historiens, comme Paul Veyne, on appelé l'évergétisme. Avec le développement du christianisme, le Moyen-Âge voit naître une nouvelle génération d'initiatives philanthropiques en Europe, même si c'est le terme de charité qui est utilisé. Pour secourir les pauvres, les infirmes et les malades, l'Église et les congrégations religieuses font bâtir et administrent les premiers hôpitaux. L'Hôtel-Dieu de Paris, par exemple, a été fondé dès 651 par l'évêque Saint Landry. L'Ordre des hospitaliers du Saint-Esprit créé en 1180 par Guy de Montpellier a construit plus de 1 000 hôpitaux et orphelinats dans toute l'Europe. On y héberge, nourrit et soigne toutes les misères, selon les préceptes catholiques. Ces établissements sont principalement financés par les dons et legs de riches particuliers, issus de la noblesse et de la bourgeoisie, qui veulent ainsi racheter leurs péchés et obtenir le salut, en portant secours aux pauvres. Souvent, ce sont des biens immobiliers, et des terres, qui sont donnés à l'Église, pour abriter de nouveaux établissements charitables qui ont vocation à agir dans la durée. Ce sont là, les premières fondations, même si elles n'ont pas encore d'existence légale. D'ailleurs, savez-vous quelle est la plus ancienne fondation encore en activité en France? Ce sont les Hospices de Beaune. Cet établissement de santé a été fondé en 1443 par le chancelier du duc de Bourgogne, afin de venir en aide aux pauvres et aux malades. Depuis sa création, de riches Bourguignons lui ont fait don d'argent, de mobilier, mais aussi d'hectares de vignes. Eh oui! Les Hospices de Beaune tirent une partie importante de leurs revenus des ventes de très grands vins, notamment par une célèbre vente aux enchères annuelle. Cet exemple illustre la puissance de certaines fondations et leur capacité à traverser les époques. À mesure que celles-ci prospèrent, grâce à de nombreux dons et legs, les seigneurs féodaux et le pouvoir royal deviennent très suspicieux. Ces biens, transférés gratuitement, et de manière irrévocable, sortent pour ainsi dire de l'économie nationale, et échappent aux droits de mutation, habituellement versés aux seigneurs ou au roi. Qualifiés de biens de mainmorte, ils feront l'objet d'un contrôle croissant du pouvoir royal, dès 1275, et pendant la Renaissance. Autorisation préalable du roi, avant toute nouvelle création, enregistrement des biens, donnés à l'Église et aux congrégations, paiement d'un droit d'amortissement parfois exorbitant, principe de spécialité dans un champ d'activité précis, bref, cette méfiance, historique, tout comme l'absence pendant des siècles d'un véritable Droit des fondations, explique en partie le faible développement de la philanthropie en France, par rapport à ses voisins Européens. Au XVIe siècle, pauvreté et mendicité deviennent un problème majeur, et très visible en France. Les municipalités et le pouvoir royal, instaurent les premières mesures d'assistance publique, financées par l'impôt, comme le Grand Bureau des Pauvres de Paris, en 1544. L'action de l'Église et des congrégations est parfois contestée, et leur monopole d'assistance aux pauvres se fissure. Avançons au XVIIIe siècle, le fameux siècle des Lumières. Inspirés par les idées nouvelles de Voltaire, Montesquieu ou Rousseau, des bourgeois et nobles fondent les premières sociétés philanthropiques, laïques, sans distinction d'opinion politique ou religieuse. À la fois clubs de réflexion, et laboratoires d'innovation sociale, ces sociétés constatent l'échec de la charité traditionnelle à éradiquer la pauvreté et la misère. Leurs membres sont médecins, intellectuels, industriels ou responsables politiques. Libéraux et progressistes, ils bouillonnent d'idées, et prônent une approche scientifique pour résoudre efficacement les fléaux qui affectent l'Humanité. Cette philanthropie veut comprendre les causes de la misère au lieu d'en soulager seulement les effets. Outre les secours d'urgence, les sociétés philanthropiques produisent les premières statistiques sociales, et organisent des enquêtes sur les conditions de vie, des pauvres et des prisonniers. Elles créent des dispensaires médicaux où elles distribuent des médicaments et vaccinent des populations pauvres. Elles lancent des souscriptions publiques, l'ancêtre de nos campagnes de fundraising, pour financer des projets innovants, comme par l'exemple l'école de lecture pour jeunes aveugles, créée en 1786 par Valentin Haüy, avec le soutien de la Société Philanthropique de Paris, toutes deux encore en activité aujourd'hui. Et ce n'est pas tout, vous connaissez tous cet écureuil. Mais saviez-vous que la Caisse d'Épargne, et le livret A, sont nés en 1878, sous l'impulsion de deux philanthropes, l'industriel Benjamin Delessert, et le militaire François de La Rochefoucauld? Saviez-vous également que les premiers logements sociaux en France, à destination des ouvriers et des travailleurs pauvres, ont été construits et financés par des philanthropes? Notamment, les familles Lebaudy et Rothschild à Paris, avant toute intervention de la mairie ou de l'État. Un mot maintenant, sur la Révolution Française et la philanthropie. L'Assemblée Constituante de 1789, puis l'Assemblée Nationale Législative de 1792, ont procédé à des réformes radicales. Confiscation des biens de l'Église et des congrégations, suppression des fondations ecclésiastiques et séculières, interdiction de tous les corps intermédiaires, entre l'État et les citoyens. Si l'Église catholique est particulièrement visée, ces mesures sont aussi l'aboutissement de la méfiance du pouvoir central envers les biens de mainmorte. C'est sous la plume de Turgot, économiste et homme politique libéral, que les fondations sont le plus durement critiquées. Dans un article acerbe, rédigé en 1757 pour l'Encyclopédie, Turgot dénonce la vanité des fondateurs, les effets pervers sur les bénéficiaires, le manque à gagner économique qu'elles représentent, les dérives de gestion, et la caducité de l'objet initial de ces fondations après plusieurs années. Pour enrayer la pauvreté, il croit davantage au don spontané de la population, mais surtout au développement économique et au libre-échange. La Révolution Française n'a pas pour autant tué la philanthropie. D'une part, de nombreux philanthropes sont devenus députés, et leurs idées commencent à infuser au sommet de la République. D'autre part, sous l'Empire, des assouplissements sont consentis, et les congrégations sont à nouveau tolérées après autorisation. La société philanthropique de Paris, elle, suspend son activité sous la Convention, mais se relance dès l'an 1800. Les différents régimes qui se succèdent XIXe siècle ont une attitude ambiguë vis-à-vis de la philanthropie. D'un côté, l'État veut limiter le contre-pouvoir que représentent les fondations, en particulier les œuvres catholiques comme le montrent les nombreuses tensions entre parlementaires et représentants de l'Église à propos de l'école. De l'autre, ils tolèrent et encadrent cette philanthropie car elle remplit une fonction sociale utile que l'État est encore incapable de suppléer, dans un contexte de bouleversement social lié à l'industrialisation et à l'urbanisation. La philanthropie connaît une véritable effervescence dans la France du XIXe siècle comme l'ont montré les travaux d'historiens comme Catherine Duprat et Jean-Luc Marais. Les élites philanthropiques de différentes obédiences rivalisent dans leurs réponses à la question sociale alors que le suffrage censitaire est remis en cause et que l'élite redoute un soulèvement du peuple. Certains philanthropes comme Gérando ou le baron Taylor deviennent des célébrités dans les journaux. Les souscriptions se multiplient et se démocratisent. La Ligue de l'enseignement lance par exemple en 1871 le sous de l'école laïque. De grandes fondations sont créées comme l'Institut Pasteur en 1887, ou la Fondation Thiers en 1893. Des legs majeurs sont effectués au profit de l'Institut de France, de grands musées nationaux comme le Louvre. Mais cet âge d'or marque aussi un tournant important. Socialistes et radicaux accusent la philanthropie de vouloir moraliser les pauvres et de maintenir les inégalités sociales à un seuil tout juste tolérable sans traiter le problème à la racine. Après l'autorisation du droit de grève et des syndicats, le mouvement ouvrier se structure. Influencés par les idées du solidarisme et le système d'assurance sociale mis en place chez l'ennemi allemand, les parlementaires et ministres réformistes de la Troisième République dessinent les contours d'un État social en France, financé par des cotisations mais aussi par l'impôt. Au cours du XXe siècle, l'État français prendra progressivement en charge un salaire minimum pour les travailleurs, une assurance pour les retraites, chômage et la maladie, une école laïque, gratuite et obligatoire. La philanthropie ne disparaît pas complètement comme en témoigne la création de nouvelles fondations pendant l'entre-deux-guerres et le succès populaire des campagnes de dons comme celle du timbre antituberculeux. Mais elle perd en légitimité et se retrouve subordonnée à l'action d'un État plus interventionniste, qui étend son action après 1945 aux domaines de la culture, des loisirs et de la santé. Dans notre vidéo, nous verrons comment la philanthropie a connu un renouveau à notre époque et le contexte plutôt favorable dans lequel elle s'exprime aujourd'hui.