Cette question de l'impact social est donc au coeur des préoccupations des
entrepreneurs.
Avec ces différents témoignages et éclairages de nos fils rouges,
de nos témoins et de nos experts, vous avez vu que la volonté d'impact social est
le plus souvent le fondement même de leur décision de créer une entreprise.
Pourtant, la mesure reste un défi majeur, quand ce n'est pas un casse-tête,
tant le champ est vaste et les résultats sont multifacettes et divers.
C'est là un paradoxe, et non le moindre, de la démarche d'entrepreneuriat social,
et la mesure de l'impact social est un des défis majeurs pour l'entrepreneur social.
D'abord, c'est le fondement originel de l'entreprise.
Pour Frédéric, la feuille de route de son projet est claire : c'est maximiser
l'impact social de son entreprise en formant un maximum de jeunes des quartiers
qui sont sans qualification et sont au chômage,
pour leur donner un métier qui leur permettra de retrouver un emploi.
C'est donc en apparence assez simple de mesurer : Frédéric et son
équipe reprennent des indicateurs proches de ceux suivis par l'administration
dans le cadre des entreprises du secteur de l'insertion par l'activité économique.
C'est un secteur qui répond au même besoin social que celui que Simplon cherche à
satisfaire.
Ainsi il reprend ce que l'on appelle le taux de sortie positive.
La loi prévoit pour l'insertion par l'activité économique trois types de
sortie positive : un contrat d'une durée minimale de six mois pour un emploi
durable, CDI, CDD ou mission d'intérim,
ou un contrat d'une durée minimale de six mois pour un emploi de transition,
emploi aidé dans la fonction publique, création d'entreprise, ou une formation.
Mais Frédéric insiste cependant sur le fait que l'action de Simplon sur les
bénéficiaires a un impact qui va bien au-delà de la seule sortie positive.
On pourrait ainsi évoquer l'empowerment des jeunes,
ou bien le nombre d'entreprise créées.
L'empowerment c'est un mot en anglais intraduisible par un simple
mot en français,
et qui couvre pourtant une réalité essentielle en terme d'impact social.
C'est la capacité d'un individu à être acteur de sa propre vie,
à se prendre en main, pour se construire un projet personnel et professionnel.
C'est donc un enjeu essentiel pour la cohésion territoriale et sociale,
pour le dynamisme d'un territoire.
Donc à ce jour, tous ces bénéfices générés par l'action de Simplon ne sont pas
évalués, alors qu'ils devraient être suivis pour apprécier précisément
et complètement l'impact de l'activité de Simplon sur un territoire.
Et si on va encore au-delà, on pourrait mesurer les bénéfices du développement de
l'application informatique ou de la digitalisation de l'économie sociale et
solidaire, et donc regarder l'impact de Simplon sur l'écosystème.
C'est d'ailleurs un des chantiers auxquels l'équipe de Simplon va s'attaquer dans les
mois et années qui viennent.
Si c'est le fondement de la création d'une entreprise sociale,
c'est aussi un des piliers du projet dans un projet d'intrapreneuriat en lien étroit
avec les activités de l'entreprise.
La question de la mesure de l'impact social a également été présente dès le
début du projet Affordable Housing, dès le pilote en Indonésie.
Comme vous l'a expliqué François Perrot, le programme a été positionné RSE,
Responsabilité Sociétale de l'Entreprise, pendant une courte phase,
puis très vite il a été présenté comme un projet ayant une double dimension :
business et performance sociale, celle-ci impliquant de suivre le nombre
de personnes touchées, c'est-à-dire qui retirent un bénéfice,
en l'occurrence un logement de meilleure qualité, grâce à ce programme.
Un objectif a été posé : l'offre Affordable Housing aura permis à 2
millions de personnes d'avoir une meilleure qualité de logement en 2020.
Actuellement, ce sont 300 000 personnes qui ont été touchées.
Au-delà de la dimension purement quantitative,
avec le nombre de personnes touchées, Lafarge souhaite s'intéresser à une
dimension qualitative en mesurant en quoi la vie des personnes touchées a changé.
Et au-delà de ces bénéficiaires directs,
Lafarge souhaite s'intéresser à l'ensemble des parties prenantes du programme,
et voir l'impact du programme de façon large : professionnalisation des instituts
de microfinance, professionnalisation des revendeurs de produits pour le bâtiment
qui sont en fait les clients de Lafarge, développement de l'activité de ces
revendeurs ou de celle des maçons qui sont les clients des revendeurs.
C'est un chantier multifacette et finalement d'une grande complexité,
donc il faut faire des choix.
La démarche présentée par Kahitouo est une illustration toute particulière de
l'importance et l'intérêt de la cartographie des parties prenantes.
Là encore, il apparaît, comme pour le projet de Lafarge, qu'au-delà des
bénéficaires directs que sont les consommateurs des chenilles de karité,
il faut s'intéresser aux bénéficiaires indirects,
à savoir les femmes qui collectent les chenilles et les distributeurs du produit.
Gérard, pour sa part,
vous a présenté un exemple très abouti de travail sur la mesure d'impact social qui
a clairement contribué à la victoire de Faso Soap à la GSVC en 2013.
Gérard et Moktar ont commencé par identifier leurs parties prenantes,
puis ils les ont hiérarchisées pour n'en retenir que deux,
celles pour lesquelles l'impact de leur action leur a semblé le plus significatif.
Il s'agit des bénéficiaires directs,
les utilisateurs du savon anti-palu d'une part, et de l'État burkinabé d'autre part.
Ils ont ensuite cherché à déterminer finement l'impact qu'ils ont sur chacune
d'elles.
Pour les bénéficaires, il s'agit bien sûr d'une moindre occurrence de la maladie.
Pour l'État burkinabé,
il s'agit d'une diminution des frais de santé liés au paludisme.
Ils ont enfin travaillé à l'élaboration des indicateurs qui pouvaient être les
plus parlants et les plus emblématiques de l'impact généré.
Pour l'État burkinabé,
ce sont la diminution du nombre de consultations liées au paludisme et celle
des achats de médicaments anti-palu qui ont été choisies comme indicateurs.
Il restera à définir comment trouver des données fiables, quelle sera l'année de
référence, et quelle part de la diminution de ces frais Faso Soap pourra s'attribuer.
Pour les bénéficiaires, Gérard et Moktar sont allés au-delà de l'impact purement
sanitaire pour aller rechercher les incidences économiques de leur produit
pour les ménages, et ont ainsi retenu deux indicateurs : la diminution des frais
de santé, là encore, mais aussi l'augmentation des revenus liée à la
baisse du nombre de jours d'arrêt de travail lié aux crises de paludisme.
Finalement, vous avez vu aussi que la question se pose dans les mêmes termes
pour Grameen Veolia, puisqu'Éric Lesueur vous a rappelé que,
faute d'avoir fait ce travail dès le lancement du projet, il s'est avéré que la
simple réponse technique n'était pas suffisante pour répondre aux besoins.
Personne n'avait pris en compte les habitudes culturelles,
les obstacles autres que techniques, l'importance d'autres acteurs par rapport
à une alimentation en eau potable de la population.
Et pourtant il y a un véritable enjeu de santé publique que personne ne conteste.
Mais cela ne suffit pas pour convaincre les habitants de Goalmari qu'acheter l'eau
de Grameen Veolia Water est leur intérêt.
Alors, quelles entreprises se lancent aujourd'hui dans une démarche
d'évaluation de leur impact social?
Amy iii nous a rappelé que de très nombreux acteurs se sont en fait
intéressés par cette mesure d'impact social : des entreprises, des banques,
des fondations, des institutions publiques, des associations,
ou des entreprises sociales.
Et cette diversité montre que l'impact social peut tous nous concerner,
dès lors qu'on se pose la question de l'utilité de nos actions.
Les motivations pour évaluer sont aussi diverses.
D'abord, elles sont financières, souvent,
pour mieux convaincre les investisseurs ou les bailleurs.
Mais elles sont aussi d'ordre stratégique : bien positionner son service,
s'assurer que l'on répond bien aux attentes du terrain,
et parfois redonner du sens et du souffle aux actions des équipes,
salariées ou bénévoles, qui peuvent se décourager face à l'ampleur de la tâche.
En effet, n'oubliez pas que changer le monde est une entreprise qui nous dépasse
tous, et qui sera à l'ordre du jour pendant encore longtemps.
Il nous faut donc accepter que nos actions ne sont que limitées.
L'évaluation permet de les considérer à leur juste mesure.
C'est une sorte de récompense pour le chemin parcouru,
et un encouragement à poursuivre quand on voit le chemin qu'il reste à parcourir par
rapport à la vision de la société idéale qui anime l'entrepreneur ; 300 000
personnes logées dignement ou dans des conditions de confort améliorées,
c'est à la fois considérable et remarquable,
et à la fois tellement peu au regard des centaines de millions de personnes qui
vivent aujourd'hui dans des logements insalubres et précaires.
Venons-en aux méthodes : elles sont nombreuses et variées,
allant des plus simples aux plus sophistiquées.
Je vous en décrirai certaines brièvement dans le module Allons plus loin.
Mais précisons à ce stade qu'avec l'équipe de la Chaire Entrepreneuriat Social de
l'ESSEC, nous avons il y a plusieurs années expérimenté le SROI,
Social Return On Investment,
sur le secteur de l'insertion par l'activité économique notamment.
Et j'ai souhaité partager nos connaissances et nos résultats via deux
cahiers que vous pourrez retrouver dans les ressources complémentaires de ce
module, ou sur le site de la Chaire Entrepreneuriat Social,
l'adresse s'affiche sur l'écran, ou bien encore via une formation dédiée construite
sur le mode projet que nous avons conçu et qui est délivré en présentiel.
En complément, nous avons également publié avec l'Avise et le Mouves le petit précis
de l'évaluation de l'impact social,
qui permet une entrée en matière accessible à tous.
Il est également disponible sur simple demande.
Et maintenant, puisqu'on parle de méthodes, revenons un instant sur les
recommandations de Kévin André, notre expert ESSEC de ces questions.
D'abord, un principe de base : il n'y a pas de méthode universelle et idéale.
Il faut faire le deuil de la méthode parfaite et ne pas se réfugier derrière ce
faux prétexte pour ne rien faire.
En fait, il y a trois grandes questions que l'on se pose quand on entame une
démarche d'évaluation : Un : Si je n'avais pas été là, que se serait-il passé?
C'est la question de ce que l'on appelle le point mort.
Deux : Qu'est-ce que je peux m'attribuer?
C'est l'attribution.
Qu'est-ce que mon action a concrètement et réellement apporté?
Trois : Avec quels moyens et quelles méthodes puis-je mesurer la
valeur sociale que mon projet génère?
C'est donc le comment.
Sans entrer dans le détail, rappelons qu'il ne sert à rien d'opposer
d'opposer les approches quantitatives et les approches qualitatives :
elles sont pertinentes ou non, en fonction des contextes et des moyens disponibles,
et elles sont le plus souvent complémentaires.
En outre, il faut garder à l'esprit qu'au-delà des chiffres et de la
valeur quantitative, il y a une dimension de valeur au sens moral du terme.
que les entreprises sociales ne peuvent pas mettre de côté.
Ainsi, même s'il est très peu rentable de s'occuper de certaines maladies rares ou
de porter des repas à des personnes âgées seules et isolées en milieu rural,
il peut y avoir une obligation morale à le faire.
Donc, à chaque fois, les moyens seront différents.
Et c'est justement l'un des enjeux de la mesure de l'impact social que de trouver
le bon moyen.
Pour avancer, trois conseils : Un : Entourez-vous et partagez avec vos pairs
et vos parties prenantes, puisqu'en matière de création de valeur sociale les
entreprises sociales ne sont pas concurrentes ; elles oeuvrent toutes pour
lutter contre un problème ou une situation inacceptable,
par exemple le chômage des jeunes, les ravages de la malaria,
ou bien les ravages de l'arsenic dans l'eau, ou bien encore le mal-logement.
Deux : Dédiez une ressource interne ou externe en recourant à un consultant.
Trois : N'hésitez pas à vous former.
Enfin, pour conclure, un point essentiel : les entreprises sociales,
les intrapreneurs, ont tendance trop souvent à voir la mesure de
l'impact social comme un travail supplémentaire.
Or, ayez bien en tête que la mesure de l'impact social permet avant tout aux
équipes de se poser les bonnes questions sur la stratégie et la performance de
l'entreprise.
Avant la dimension externe, il faut souligner que la mesure de l'impact social
a une dimension interne opérationnelle d'amélioration de la
performance de l'entreprise.