[MUSIQUE] Dans cette série de vidéos, nous partons à la découverte de chacune de ces 12 cases pour vous expliquer comment utiliser le DMC. La première case du DMC était consacrée aux objectifs et aux valeurs du projet mené dans l'incertain. Elle était ici. Valérie, Thomas, pouvez-vous maintenant nous dire où se situe la deuxième case du DMC et quelle est sa signification? >> La deuxième case du DMC est ici. Elle est consacrée aux certitudes que vous avez par rapport au projet que vous menez dans l'incertain. La question qu'on vous pose est relativement simple : quelles sont les choses que vous savez, dont vous êtes certain sur votre projet? J'en profite pour vous rappeler que sur le DMC, dans chacune des cases, la question est relativement simple, mais la réponse qu'il faut donner est souvent assez subtile. >> La subtilité vient ici de ce que, dans un environnement incertain, les choses que vous dites savoir ne sont en fait souvent que ce que vous croyez savoir. Car dans l'incertain, rien n'est certain. C'est la définition même et l'étymologie du mot incertain. Dans un univers incertain, il est essentiel de questionner ses certitudes. >> Cela ne semble pas intuitif, mais j'imagine que vous allez pouvoir nous expliquer cela. >> Oui, et il y a deux explications à cela. La première, c'est que ce que vous dites savoir se fonde souvent sur l'observation d'autres personnes qui ont réussi à sortir avec succès de la boîte noire de la situation dans laquelle vous êtes actuellement. Mais ces observations, celles que vous faites sur les autres, vous trompent souvent. Précisons notre pensée. Dans un environnement incertain, les agents économiques font souvent des benchmarks. Parce qu'un agent économique qui est confronté à une boîte noire va souvent vouloir essayer de trouver des repères, donc trouver des gens qui éventuellement ne seraient pas déjà passées dans la même situation que lui, de manière à s'en inspirer. >> Les agents économiques, et généralement les benchmarks, ne s'inspirent pas des loosers, des perdants, mais vont regarder tout particulièrement ceux qui ont réussi. Ils vont ainsi essayer d'identifier les déterminants du succès de ces gagnants, ces déterminants que l'on appelle les facteurs clés de succès, et retenir comme enjeu de les copier. En opérant ainsi, ils ont l'impression d'adopter la bonne pratique, la bonne manière de naviguer dans cette boîte noire qui les inquiétait initialement. >> Ce raisonnement est assez classique dans l'incertain. Remarquez d'ailleurs que c'est exactement ce raisonnement qui motive les entreprises à faire des études de marché ou des études de la concurrence lorsqu'elles veulent lancer un nouveau produit ou un nouveau service dans l'incertain. >> Mais dans un projet caractérisé par l'incertitude, cette démarche, cette pratique du benchmark, perd de sa pertinence et peut même vous conduire à l'erreur. En copiant les agents qui ont préalablement réussi à trouver leur chemin dans la boîte noire de l'incertain, vous risquez fort de tomber dans ce biais cognitif que l'on appelle le biais des survivants. [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Pour vous expliquer le biais des survivants, il faut que je vous raconte une petite histoire qui date de la Seconde Guerre mondiale. Sachez que pendant la Seconde Guerre mondiale, la Royal Air Force, qui est le nom de l'armée de l'air britannique, a envoyé des avions au-dessus de l'Allemagne pour bombarder les ennemis. Peu de temps après les combats, la Royal Air Force s'aperçoit qu'elle perd beaucoup d'avions au-dessus du territoire ennemi. Elle décide donc, de manière assez logique, d'opérer un audit sur tous les avions qui reviennent sur le sol anglais, donc sur tous les avions qu'on pourrait appeler les survivants. L'idée était de comprendre où ces avions prenaient les balles, de manière à pouvoir renforcer les zones des appareils à ce niveau-là, là où les avions prenaient les balles. L'initiative, a priori, est plutôt pertinente et de bon sens. À ce moment-là, la Royal Air Force s'aperçoit que les balles des Allemands touchent les avions principalement au niveau des ailes. Elle décide donc, de manière assez logique, de renforcer les avions au niveau des ailes. Quelques mois plus tard, l'armée de l'air britannique décide de regarder si la mesure a produit des effets et elle s'aperçoit que la mesure n'a produit aucun effet. Le taux de survie des avions au-dessus du territoire ennemi est resté complètement inchangé. C'est étonnant, mais c'est factuel. Et il faut que vous compreniez la raison de cette absence de résultats pour précisément ne pas commettre la même erreur avec votre projet dans l'incertain. Dans son raisonnement, la Royal Air Force a commis une erreur méthodologique qui est grave et qui est désormais connue sous le nom du biais des survivants. En observant uniquement les avions qui étaient revenus sur le territoire britannique, elle a oublié de prendre en considération tous les avions qui étaient morts au combat. Et si elle avait regardé les avions qui étaient morts au combat, elle se serait aperçue que les balles se logeaient dans le réservoir et pas dans les ailes. Et donc si les généraux anglais devaient protéger une zone des appareils, c'était plutôt le réservoir que les ailes. >> Le biais des survivants est une erreur d'analyse que l'on commet lorsqu'on essaie de copier les vainqueurs en oubliant les données associées aux perdants. Si nous prenons l'exemple des vidéos que nous sommes en train de tourner dans le vaste monde des ressources numériques, leur réussite est incertaine. Pour maximiser leurs chances de succès, notre démarche aurait pu être de visionner toutes les vidéos à forte viralité et qui ont obtenu une large audience afin d'en tirer des leçons. Nous aurions peut-être alors constaté que toutes les vidéos à succès ont un générique de moins de dix secondes et donc retenir un choix de format avec un générique de moins de dix secondes. Mais en regardant toutes les vidéos qui ont échoué, nous aurions pu constater qu'elles aussi ont toutes un générique de moins de dix secondes. Le format d'un générique de moins de dix secondes n'est donc pas une variable explicative du succès d'une vidéo. Mais ça, on ne peut pas le savoir si on se contente de regarder les meilleures vidéos, les vidéos survivantes. >> Pour vous dire les choses très simplement, on vous déconseille donc de faire des benchmarks. Parce que vos certitudes dans l'incertain ne peuvent pas se fonder sur l'observation d'autres personnes qui auraient été préalablement dans la même situation que vous. Et pour vous dire les choses de manière un peu plus complexe, comme tout ce que vous tenez aujourd'hui pour certain provient de l'observation du passé, il est fort probable que vous êtes déjà victime du biais des survivants sans le savoir et sans le vouloir, ce qui a pour effet de rendre faux une grande partie de ce que vous pensez aujourd'hui savoir. >> Le biais des survivants est donc la première raison qui permet d'expliquer pourquoi nos certitudes n'en sont finalement pas. Vous aviez aussi parlé d'une seconde explication. >> Oui, il y a effectivement une deuxième raison qui relève du domaine de la statistique. Nous allons vous en faire la présentation qui est un peu complexe, mais le message derrière cette démonstration est très important. Vous devez d'abord comprendre ce que l'on appelle le paradoxe du faux-positif. [MUSIQUE] [MUSIQUE] Le paradoxe du faux-positif est un paradoxe statistique qui vient du monde de la médecine. Je propose d'abord de vous le présenter dans le contexte médical, puis ensuite, on l'appliquera à notre sujet de la prise de décision dans l'incertain. Considérons une population composée de 100 000 personnes. Imaginons maintenant une pathologie extrêmement grave qui va potentiellement nous faire mourir et qui touche une personne sur 1 000, et acceptant enfin qu'il existe un test capable de renseigner chaque personne sur son état de santé. Et ce test est fiable à 99 %. Donc, très concrètement, le test indique à la personne si elle est malade ou si elle est en bonne santé avec une fiabilité de 99 %. >> En raison de la gravité de cette maladie, toutes les personnes décident d'aller se faire tester. Et le paradoxe intervient ici. Mettons-le en perspective à l'aide d'une question. Vous vous êtes fait diagnostiquer et le test vous signifie que vous êtes atteint par la maladie. Quelle est selon vous la probabilité que vous soyez effectivement malade? L'intuition nous pousse à répondre 99 %. Le test étant fiable à 99 %, s'il nous dit que nous sommes malades, alors le bon sens nous incite à croire que nous avons une probabilité de 99 % d'être effectivement malades. >> Et pourtant cette réponse est fausse. En fait, le bon sens, ici, nous joue des tours, il nous trompe. La probabilité d'être malade lorsque le test nous signale que nous sommes malades est en réalité de 10 %. C'est étonnant, c'est contre-intuitif, mais c'est statistique. Pour que vous compreniez bien ce paradoxe, je vais vous démontrer que cette probabilité est bien de 10 %. Pour cela, je vais décomposer les populations, je vais d'abord discuter des gens qui sont malades, puis je discuterai des gens qui sont en bonne santé. On rappelle que la population générale est de 100 000 personnes. Ce qu'on appelle la prévalence de la maladie est de 1 pour 1 000. On sait donc que, de toute façon, dans la population, il n'y aura que 100 personnes malades. Et il y aura donc, par effet de symétrie, 99 900 personnes en bonne santé. Arrêtons-nous d'abord sur les 100 personnes malades. Comme toute la population, ces 100 personnes malades sont allées se faire diagnostiquer parce qu'elles ont très peur de mourir. Le test est fiable à 99 %. Il a donc signalé à 99 de ces 100 personnes malades qu'elles avaient contracté la maladie. Ce qui est vrai, puisqu'on considère ici le sous-panel des personnes infectées. Sans que ça ait de conséquences sur la suite du raisonnement, sachez que pour une de ces 100 personnes, le test a dit qu'elles étaient en bonne santé, et c'est faux, puisqu'on est toujours dans le panel des gens qui sont malades, et la personne est en réalité malade alors que le test lui a dit qu'elle était en bonne santé. Observons maintenant le cas des 99 900 personnes en bonne santé. Comme tout le monde, ces personnes sont allées se faire diagnostiquer et le test est fiable, je le rappelle, à 99 %. Il se trompe donc dans 1 % des cas. Ici, le test se trompe donc pour 1 % de cette population des personnes en bonne santé qui représente 99 900 personnes ; c'est-à-dire que le test se trompe pour 999 personnes. Concrètement, le test va donc signaler à 999 personnes qu'elles sont malades, alors que c'est faux, parce qu'elles sont en bonne santé, puisque nous sommes dans le sous-cas des personnes qui sont en bonne santé. Du coup, quand vous vous faites tester et que le test se révèle positif, la question que vous devez vous poser, c'est : est-ce que je fais partie des 99 personnes malades pour qui le test a raison ou est-ce qu'au contraire je fais partie des 999 personnes en bonne santé pour lesquelles le test s'est trompé et m'a dit que j'étais malade alors que je suis en bonne santé? 99 par rapport à 999, c'est 10 %. Du coup, quand le test sonne positif, la probabilité que vous fassiez partie des gens malades n'est que de 10 %, pas de 99 %. C'est très contre-intuitif, c'est très paradoxal, mais c'est statistique. >> En effet, imparable! Mais comment peut-on appliquer ce paradoxe à la prise de décision dans l'incertain? >> Dans un monde incertain, prenez le secteur du numérique par exemple, la règle est d'échouer et l'exception de réussir. Le numérique se caractérise en effet par un environnement dit de long tail, en français de longue traîne. Un marché en longue de traîne se définit par une structure où peu d'acteurs réussissent à capter une large audience et où the winner takes all, le gagnant rafle tout. Mais le nombre de réussites est extrêmement faible et beaucoup d'acteurs se disputent les miettes. Dans un environnement en longue traîne, quand d'une certaine manière la règle est d'échouer et l'exception de réussir, le paradoxe du faux-positif s'applique, ce qui doit vous inciter à vous empêcher d'avoir des certitudes. Pour faire une analogie avec notre énoncé en médecine, même si vous avez raison a priori dans vos décisions dans 99 % des cas, dans l'incertain, avec une structure de marché en longue traîne, dans 90 % des cas, vous allez vous tromper dans vos diagnostics. >> Pour résumer, dans la deuxième case du DMC, il faut indiquer nos certitudes sur notre projet tout en gardant à l'esprit que dans un environnement incertain il est probable que nos certitudes n'en soient finalement pas. Cela peut s'expliquer par des phénomènes connus, comme le biais des survivants ou le paradoxe du faux-positif. Maintenant que vous avez compris tous les concepts cachés derrière cette deuxième case, il est temps de passer en mode atelier et de mettre en pratique ce que vous avez appris. [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Reprenons l'exemple de nos vidéos. Elles évoluent dans un monde où les succès sont faibles et les échecs très nombreux. Supposons, par exemple, que la probabilité de succès d'une vidéo soit de 1 pour 1 000. Donc, par extension, la probabilité d'échec d'une vidéo est de 999 pour 1 000. Considérons maintenant qu'il y a 100 000 vidéos produites par an. Eh bien même si on est particulièrement clairvoyant, même avec un taux de fiabilité de 99 % dans notre diagnostic, si on pense que cette vidéo a une chance de réussir, alors elle n'aura en fait que 10 % de chances de réussir. C'est l'application stricte du paradoxe du faux-positif dont on a exposé les hypothèses préalablement. Du coup, même si on est particulièrement clairvoyant, même si on a un taux de fiabilité dans nos décisions de 99 %, ce que l'on croit se révèle souvent faux dès lors qu'on est dans un marché en longue traîne. >> Revenons maintenant sur l'outil. Dans la seconde case du DMC, vous allez devoir indiquer vos certitudes relatives à votre projet. Cependant, notez bien que si vous pouvez avoir des certitudes, vous devez rester conscient qu'elles peuvent être très éphémères. En évoluant dans l'incertain dans le cheminement de votre réflexion, et donc au cours du remplissage du DMC, ces certitudes s'effriteront et se révéleront probablement fausses. L'incertain a ce charme de souvent remettre en cause vos certitudes au fil des apprentissages que vous faites. >> Dans notre cas, notre certitude était qu'une série de vidéos sur le thème de l'incertain plaira très probablement au monde professionnel. On peut donc l'écrire tel quel dans le DMC. Mais attention, la subtilité dans cette case, c'est que nous devons prendre avec prudence nos propres réponses. Nous devons être conscients que cette certitude sera probablement remise en cause au fil de nos apprentissages. Pour deux raisons. La première, c'est que cette certitude s'est peut-être inconsciemment forgée sur l'observation des vidéos à succès sans que nous n'ayons pu prendre en compte les vidéos qui ont échoué, puisque, par définition, elles n'ont pas récolté d'audience et donc on ne les a pas vues. Nous sommes donc peut-être inconsciemment déjà dans le biais des survivants. La deuxième raison, c'est que nous sommes sur un marché de longue traîne. Donc même si nous étions particulièrement clairvoyants, nos croyances se révéleront fausses dans la plupart des cas. >> Voilà qui clôt cet épisode sur la deuxième case du DMC, la case Certitudes. Dans le prochain épisode, nous aborderons en détail la troisième case dédiée aux angles morts que vous pouvez avoir sur votre projet. 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