[MUSIQUE] Dans cette série de vidéos, nous partons à la découverte de chacune de ces 12 cases pour vous expliquer comment utiliser le DMC. À ce stade, nous avons déjà abordé la partie gauche du DMC qui permet de clarifier les intentions des porteurs de projets ainsi que les conclusions de la phase d'exploration présentées dans les trois premières cases de la partie droite de l'outil. Nous avons pu obtenir des idées nouvelles sur les certitudes et les angles morts du projet et avons pu réaliser quelques changements sur le projet en lui-même. Valérie, Thomas, pouvez-vous maintenant nous dire où se situe la dixième case et quel sujet aborde-t-elle? >> La dixième case est ici. Vous pouvez remarquer qu'elle est séparée en deux. Dans la partie du haut, on va vous demander d'exprimer les bénéfices du changement que vous avez opéré sur votre projet. Et dans la partie du bas, on va vous demander d'exprimer les risques associés à ces changements. Donc, vous avez compris que dans cette case, on va poser une analyse bénéfices/risques par rapport aux changements que l'on va énumérer dans la case précédente. Notez que l'un des intérêts de cette case c'est de vous faire comprendre dans quelle mesure votre projet dans l'incertain peut devenir anti-fragile. >> On doit ce terme d'anti-fragile à Nassim Taleb. On a déjà évoqué cet auteur lorsque l'on a discuté des cygnes noirs. Nassim Taleb est Professeur à la New York University et travaille depuis longtemps sur cette question de l'incertitude. Il a développé beaucoup de concepts, dont celui d'antifragilité, qui manquait jusqu'ici à notre vocabulaire et qui est essentiel à connaître. [MUSIQUE] Sur ce concept, il déroule la démonstration suivante. Quand les événements vous frappent et vous font tomber, vous pouvez être qualifié de fragile. Quand les événements vous frappent et que vous réussissez à rester debout, vous êtes résilient. Mais quand des événements vous frappent et vous renforcent, nous n'avions pas de terme pour qualifier ce phénomène. Le terme d'antifragilité permet de qualifier ce phénomène. Quelque chose est anti-fragile lorsqu'il est alimenté et renforcé par la survenance d'un événement imprévisible. >> L'exemple qui est souvent pris à ce sujet c'est l'exemple de la bougie et du feu de forêt. La bougie, elle est fragile, parce que le vent l'éteint quand il arrive sur elle. En revanche, le feu de forêt est antifragile parce qu'il est renforcé et sa puissance augmente avec le vent. Maintenant que vous avez compris l'idée, il faut néanmoins faire attention à la manière dont elle prend forme à l'intérieur du DMC. On ne vous dit pas que cette dixième case va vous permettre de rendre votre projet antifragile. Attention. On vous dit simplement que cette dixième case va vous permettre de savoir si votre projet est ou n'est pas antifragile. Cette dixième case, elle vous permet donc simplement de poser un diagnostic. Ce qui vise à rendre le projet antifragile, c'est l'utilisation toute entière du DMC puisqu'en utilisant le DMC, vous jouez avec l'incertitude pour essayer d'en tirer profit. Vous faites des explorations, vous faites pivoter votre projet pour tirer avantage des nouveaux événements qui interviennent et des nouveaux savoirs dont vous prenez connaissance au fil de l'eau. Le DMC est donc un outil qui participe d'une posture offensive d'antifragilité face à l'incertitude. Et de ce point de vue, il se distingue de pas mal d'autres outils qui s'inscrivent plutôt dans une approche défensive et résiliente face à l'incertitude. Avec le DMC, l'idée n'est pas de survivre à l'incertitude, l'idée c'est de se nourrir à l'incertitude. >> Au-delà de permettre un diagnostic sur la dimension antifragile du projet, cette case dans laquelle vous allez lister les bénéfices et les risques des modifications que vous allez apporter à votre projet, cette case vous permet de vous mettre en posture consciencieuse par rapport à votre projet. Nous employons le mot consciencieux en référence au Big Five. [MUSIQUE] Le Big Five est un modèle souvent utilisé en psychologie pour décrire les traits de personnalité. Ce modèle a été conçu dans les années 60 par Ernest Tupes et Raymond Christal. C'est un modèle qui est toujours dominant et très utilisé par les ressources humaines dans les entreprises. Comme son nom l'indique, le modèle des Big Five postule que la personnalité des individus s'articule autour de cinq dimensions, l'ouverture, qui renvoie au goût de l'individu pour l'apprentissage de concepts nouveaux et des nouvelles expériences. La conscienciosité, les personnes qui obtiennent un score élevé sur cette dimension de leur personnalité sont celles qui sont disciplinées, rigoureuses et ordonnées. L'extraversion, ce trait de personnalité traduit la capacité de l'individu à interagir avec les autres. L'agréabilité, cette caractéristique renvoie au calme, à l'altruisme, à la générosité, et enfin le névrotisme, qui caractérise les personnes vulnérables, anxieuses et sujettes au stress. >> Aujourd'hui, aucune recherche à notre connaissance n'a pu établir de lien entre le trait de personnalité des personnes et la probabilité générale de réussir un projet dans l'incertain. Et franchement, je ne pense pas qu'il en existe un jour parce que d'un point de vue méthodologique, ça serait très compliqué. Réussir un projet dans l'incertain fait intervenir beaucoup trop de paramètres, en plus des paramètres certains connus, d'autres inconnus, des paramètres qui sont interdépendants entre les autres. On voit donc assez mal comment il serait possible d'isoler une variable en contrôlant toutes les autres pour essayer de voir l'effet de cette variable sur la probabilité de réussite du projet. En revanche, il est possible de discuter des rapports de causalité existant entre des variables quand on les prend deux à deux. Et là, ça ouvre une discussion intéressante et stimulante sur la manière dont une variable peut impacter la manière dont se comporte un agent dans l'incertain. Et là, effectivement il y a des études qui existent, et on s'est même inspiré de l'une d'entre elles pour cette dixième case du DMC. Cette étude a été produite par Tomáš Jagelka, qui est un jeune docteur, qui en 2020 a montré que les gens qui étaient consciencieux, je rappelle, c'est les gens qui sont rigoureux et disciplinés, ils ont une préférence pour le présent qui est moins prononcée si on parle en économiste. Autrement dit, ces personnes sont plus patientes. Et il se trouve que c'est très bien d'être patient pour mener un projet dans l'incertain parce que ça va vous donner du souffle, et donc vous ne serez pas frustré si des événements imprévisibles arrivent et repoussent le terme du projet. >> On ne peut pas prétendre améliorer le niveau de conscienciosité des porteurs de projets en leur suggérant simplement de poser froidement la balance coûts/bénéfices des changements réalisés sur leur projet. Nous avons néanmoins voulu les faire passer par cette étape en espérant que cette analyse leur donne la bonne distance au temps qu'il faut pour conduire un projet dans l'incertain. >> Dans cette dixième case du DMC, nous réalisons donc un diagnostic sur l'antifragilité de notre projet tout en nous mettant dans une posture consciencieuse. Mais existe-t-il des risques qui seraient rédhibitoires? Autrement dit, y a-t-il des changements qu'il ne faudrait surtout par opérer parce que certains risques deviendraient insurmontables? >> À ce stade du DMC, j'attire votre attention sur le fait que vous devez simplement vous contenter de lister le plus loyalement possible les bénéfices et les risques associés aux changements de votre projet. La décision d'opérer ces changements interviendra plus tard, très rapidement dans la prochaine case du DMC. Puisque vous posez la question, on va quand même pas se priver de vous apporter quelques éléments de réponse. Sachez effectivement qu'il y a un type de risque, un, auquel il va falloir être particulièrement vigilant, ce sont tous les risques qui sont imputables à l'existence de coûts que l'on appelle irrécupérables. >> Ces coûts irrécupérables, ces Sunk costs comme leur nom l'indique, sont définitifs mais pas que. Le plus grave concernant ces coûts c'est qu'en environnement incertain, ils peuvent influencer durablement vos choix et le chemin que vous allez emprunter pour éclaircir la boîte noire qui est devant vous. Si vous faites le choix d'une dépense dont vous savez que vous ne pourrez pas la récupérer, vous risquez d'être pris dans ce que l'on appelle la dépendance du chemin. Pour faire simple, même si tout vous dit que vous devriez arrêter d'utiliser cette ressource, acheter sans revente possible, vous allez avoir tendance à vous voiler la face et à forcer les options qui utilisent cette ressource, comme pour tenter de lui donner une forme de retour sur investissement alors même que manifestement elle ne le mérite pas. En environnement incertain, se lier les mains est une très mauvaise pratique. Ne vous liez pas les mains avec des coûts irrécupérables. Changez d'approche et de rationnalité sur ce type de coûts. Pour faire référence aux travaux de Saras Sarasvathy, envisagez ces coûts comme des pertes acceptables. Avec ce raisonnement, vous pourrez garder l'horizontalité dans vos choix. >> Pour résumer, dans cette case, il faut simplement indiquer les bénéfices et les risques associés aux changements que l'on compte opérer sur son projet sans pour l'instant se soucier de la mise en application de ces changements. Maintenant que vous avez compris tous les concepts cachés derrière cette dixième case, il est temps de passer en mode atelier et de mettre en pratique ce que vous avez appris. [MUSIQUE] Rappelons pour commencer qu'au départ, on voulait concevoir une série de vidéos sur le thème de l'incertitude. Nos objectifs étaient qu'elles soient massivement regardées et qu'elles soient de grande qualité. Nos certitudes concernaient le budget et le thème des vidéos. Notre angle mort concernait l'état de la concurrence sur ce projet. On a donc décidé de faire deux explorations, l'une consistait à benchmarker les plateformes de diffusion de contenus de vidéos en ligne, et l'autre était d'appeler une de nos connaissances, un expert du sujet en l'occurrence. Ces explorations nous ont permis de prendre conscience de beaucoup d'informations jusque là inconnues. On a donc décidé de modifier notre projet. On ne va plus concevoir une série de vidéos sur l'incertitude pour les professionnels, mais produire un véritable outil d'aide à la décision dans l'incertain pour les praticiens. Les vidéos seront des tutoriels qui serviront à éclairer l'usage de cet outil. On va par ailleurs penser ces vidéos pour les transformer facilement en podcasts. Nos contenus seront diffusés avec une stratégie omnicanale et le contenu sera pluridisciplinaire pour offrir des solutions aux praticiens qui envisagent la prise de décision dans l'incertain de manière holistique. >> Pour commencer par les bénéfices de ces changements, on peut facilement en trouver deux. D'abord, ne plus proposer une série de vidéos mais un outil d'aide à la décision ouvre le champ des possibles en matière de business models associés à ce projet. Il devient possible de vendre l'outil, mais aussi des formations à l'outil, le MOOC que vous regardez en ce moment, le podcast, ensemble ou séparément. Par ailleurs, ce changement confère au projet une originalité qu'il n'avait pas auparavant. Il n'existe pas à notre connaissance d'outil de ce genre. On peut écrire ces deux bénéfices dans le DMC. >> Du côté des risques, on peut en présenter deux. Compte tenu des nouvelles fonctionnalités du produit, le budget pourrait être dépassé et la réalisation d'un outil d'aide à la décision nous semble beaucoup plus exigeant en termes d'exécution que la conception de simples vidéos. On a donc un risque supplémentaire d'exécution sur le projet. On peut donc noter ces deux risques dans le DMC. >> Pour faire référence au message développé dans cette vidéo, on observe que notre projet est en passe d'être antifragile. Par nos explorations, on s'est aperçu qu'il ne passerait probablement pas la barre en l'état. On a donc choisi de pivoter de manière assez radicale d'ailleurs, puisque nous avons choisi de ne plus produire des vidéos, mais un outil d'aide au changement. Ce pivot est une manière de nous servir d'incertitudes avec une stratégie offensive et non résiliente. Si on avait cherché la résilience, on aurait essayé de voir comment il était possible de faire en sorte de conserver notre projet de vidéos malgré l'environnement. Là, on change profondément notre projet et on l'alimente avec nos nouvelles découvertes. >> Par ailleurs, on peut dire que l'on est consciencieux puisque l'on a réussi à lister proprement les bénéfices et les risques associés à notre changement de projet. Et sauf erreur, il n'y a pas dans ces risques de coûts irrécupérables à supporter pour opérer tous les changements voulus. C'est donc une très bonne nouvelle. >> Voilà qui clôt cet épisode sur la dixième case du DMC, la base Bénéfices/Risques. Dans le prochain épisode, nous aborderons en détail la onzième case dédiée au choix de continuer ou d'arrêter son projet. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]