[MUSIQUE] On en arrive à notre dernier concept, notre dernier bloc de concepts, il s'agit des dispositifs et des pratiques. On vous en a déjà montrés quelques uns sur la table. Juliet et Laurent. >> Alors dispositif spatial, c'est un terme qui a été suggéré par Michel Foucault Donc c'est un philosophe dont se sont beaucoup inspirés les géographes, de différentes manières. Et dans cette proposition qu'il faisait, il y avait l'idée qu'un dispositif spatial serait un ensemble de normes, de réglements mais aussi de lieux, de choses, qui permettraient de structurer finalement l'ordre du social à certains endroits. Et donc c'est un terme qui a été saisi par les géographes, qui ont dans l'oeuvre de Michel Foucault, pioché les quelques parties où il parlait explicitement d'espace, pour en faire quelque chose en géographie, notamment par exemple Michel Lussault qui a essayé de montrer en quoi ce dispositif spatial participe de la construction du social et du politique. Et donc nous, c'est un terme qu'on a repris dans notre partie aussi pour montrer comment est-ce qu'on peut penser certains lieux en ce qu'ils sont à la fois matériels mais aussi évidemment régis par ces normes, ces réglements, ces comportements, toutes ces imaginaires, ces construits que l'on retrouve. Évidemment, ce qui est intéressant dans le dispositif spatial, c'est qu'il rythme des comportements et des pratiques. >> Tout à fait. Ce qui est intéressant avec la notion de dispositif, c'est qu'elle conduit à l'affaissement d'une vieille dichotomie entre d'un côté le monde idéal, de l'autre côté le monde réel. Et puis on voit qu'il y a une co-constitution de l'idéal et du matériel. Cette co-constitution nous conduit aussi à réfléchir à la question de l'espace et du corps. De l'espace et des pratiques qui instituent l'espace et en même temps l'espace qui institue le corps qui s'y déplace. Il me semble que, dans nos différents modules, cinq grandes familles de travaux sur les pratiques sont mobilisées. On a une première famille de travaux mobilisés qui sont relatifs à la vieille linguistique, à la vieille sémiotique priétienne où on réfléchit aux pratiques de sémiose. La façon dont les actions sociales, dont les pratiques ordinaires associent du sens à des fragments d'espace. Et la manière dont une étendue est informée par nos pratiques. Et cette information d'une étendue, elle est liée à la frontière, aux limites qui marquent différents registres identitaires, différents registres juridiques, différents registres d'imaginaires aussi. Et en même temps ça nous constitue parce que quand on flux dans cette étendue, qui est maintenant associée à de l'information, tout soudain, on investit de nouveaux registres identitaires, de nouveaux imaginaires, on se comporte différemment, on a d'autres répertoires de gestes. Première grande famille de travaux qui me semble être mobilisée par notre MOOC. Deuxième grande famille de travaux sur les pratiques sont les travaux qui relèvent d'une approche certalienne du quotidien. Michel de Certeau, Les arts de faire, 1980, où on va s'intéresser singulièrement à la façon dont des sujets, des individus détournent un ordre social par d'infimes gestes créatifs d'imagination et par ces détournements propulsent la société dans son entier dans un avenir ou dans quelque chose de différent. La manière dont, dans des tactiques infinitésimales, on construit quelque chose de différent et on détourne un ordre normatif pesant. Autour des frontières se jouent des dispositifs de détournement assez puissants, au travers du tag, au travers de la façon dont on passe la frontière et dans la manière où on peut bousculer le douanier, en évoquant ce qu'on a dans le coffre ou la chnouf qu'on a cachée dans les pneus par exemple. Des formes de détournement ou de rapport à l'autorité. Troisième ordre de travaux sur les pratiques qu'il me semble qu'on mobilise, ceux que tu as évoqués tout à l'heure Juliet, qui sont toutes les recherches foucaldiennes autour des dispositifs spatiaux, des normes, du rapport de l'espace et du corps et de l'institution permanente de subjectivité dans la pratique d'espace. Pratiquer un espace, c'est s'astreindre à une discipline, c'est être soumis à un gouvernement des corps, qui nous constituent comme sujets. Et ce qui se passe dans l'univers domestique, autour de rapports à la frontière, des gestes qu'il convient de faire au salon plutôt que dans la chambre à coucher, la manière dont on transite entre différentes pièces, vont construire cette opposition entre hommes et femmes. Troisième, pardon, je m'égare. Quatrième famille de travaux qu'on mobilise autour des pratiques sont des travaux qui relèvent un peu plus d'une approche bourdieusienne de la société. Disons que les individus, Jean-François l'a évoqué tout à l'heure, sont conduits par une espèce de logiciel qu'on peut appeler un habitus, et cet habitus repose chez Bourdieu sur trois piliers. Il y a l'ethos, un modèle normatif intégré, qui fait qu'on va définir des espaces comme des espaces moraux et des espaces immoraux. On circule dans la rue, on passe devant un sex shop, ça peut, pour certaines personnes, être quelque chose de sale qu'il faut éviter. On détourne le regard, on passe sur autre chose, ça structure fortement nos pratiques de la ville. Chez Bourdieu, l'habitus a un deuxième pilier, ce qu'il appelle l'edos, qui est le registre esthétique. Donc les territoires qu'on fréquente et d'autres qu'on évite, parce qu'ils ont une certaine composante esthétique. Et cette composante esthétique, elle nous parle parce qu'on est, comme le dit Bourdieu, des classeurs classés par nos classements, et puis que certains paysages relèvent de notre catégorie socioprofessionnelle. Ça marche. C'est un outil, un levier fondamental des processus de gentrification. On fréquente certains types d'espaces parce qu'ils renvoient une certaine identité, ils renvoient un certain goût esthétique qui nous classe parmi de jeunes créatifs en cours d'ascension sociale ou voilà. Et puis dernier élément que mentionne Bourdieu dans sa théorie de l'habitus, troisième pilier de l'habitus, c'est ce qu'il appelle l'hexis, c'est-à-dire les répertoires de gestes qu'on a dans le quotidien, qui sont déterminés par des espaces et une positionnalité dans l'espace social aussi. Des façons de se gratter quand on parle, des façons de baisser le regard ou des façons de se soustraire à la présence d'un corps féminin ou d'un corps masculin qui dessinent une partition genrée de la ville, des espaces domestiques. Et enfin la dernière grande famille de travaux sur les pratiques qu'il me semble qu'on mobilise de manière transversale sont les travaux qui relèvent d'une sociologie pragmatiste, de Boltansky, de Thévenot, où on va se référer aux ordres normatifs qui conduisent nos actions, en même temps les ordres normatifs qu'on produit dans des actes infinitésimaux ou un peu plus spectaculaires ou juridiques. Donc une négociation qui peut se jouer dans l'aménagement d'un carré confessionnel dans un cimetière par exemple, va instituer un ordre moral qui dessine la place d'une communauté religieuse dans le tout social. [MUSIQUE]