[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour et bienvenue. Cette session est consacrée au produit intérieur brut. Nous allons aborder les points suivants : le PIB, PIB est l'indicateur utilisé pour mesurer la croissance économique d'un pays. Mais cet indicateur est partiel, il ne dit rien sur la qualité de la vie humaine ni sur la répartition des richesses, ni sur les ressources naturelles et l'environnement. En France, par exemple, l'état a commencé à réfléchir à compléter l'indicateur PIB. Alain, pouvez-vous nous rappeler ce qu'est le PIB? >> Le PIB, dans le langage courant, c'est la valeur totale mesurée en unités monétaires de la production de biens et services à l'intérieur d'un pays sur une période donnée. En général, on compte le PIB sur un an. Les dépenses des uns étant les revenus des autres, le PIB peut être mesuré de deux manières. Soit on ajoute tous les revenus perçus par les agents économiques, les salaires, les revenus des capitaux financiers, les revenus financiers, soit on ajoute l'autre versant. toutes les dépenses des agents économiques : leur consommation, les investissements, les dépenses publiques et puis on compte les exportations nettes des importations pour tenir compte des échanges extérieurs. Le gros atout du PIB, c'est que c'est un indicateur simple, il est disponible dans pratiquement tous les pays du monde à partir de leur comptabilité nationale même quand elle n'est pas très développée. Il s'est imposé dans nos esprits, au point que la croissance du PIB d'une année sur l'autre dans un pays c'est devenu la croissance du pays. On ne dit plus croissance du PIB, on ne dit la croissance du pays, et par ailleurs, il est devenu le baromètre de la bonne santé d'un pays. Plus exactement la croissance du PIB est devenue le baromètre de la bonne santé d'un pays et il est utilisé, par exemple, dans nos économies qui sont très financiarisées, très monétarisées par les investisseurs privés, par les investisseurs publics comme un des critères quantitatifs. un critère chiffré pour décider si c'est une bonne idée de prêter à un pays. Mais, vraiment, à mon avis, c'est à tort. >> À tort, pourquoi à tort? Vous venez de nous dire que le PIB mesure toute la richesse produite dans un pays. >> Oui. mais le PIB ne mesure ce qu'il mesure, et qu'est-ce qu'il mesure, c'est les flux monétaires dans une économie sur une période, comme je viens de le dire. Alors cela veut dire qu'il y a plein de choses qu'il ne mesure pas. Le PIB ne mesure pas les activités non monétarisées. Par exemple, il ignore la production domestique. Si on garde ses enfants à la maison, si on garde ses parents âgés à la maison, cela ne fait pas augmenter le PIB. Alors que si les enfants sont mis en crèche, si les personnes âgées sont mis en maisons de retraite ou acceptent d'aller en maison de retraite pour être plus précis, alors le PIB augmente. Deuxième exemple, l'activité dans un cadre associatif ou bénévole, elle est ignorée par le PIB. Tout ce que les individus produisent pour eux-mêmes et pour leur famille représenterait environ 30 à 40 % du PIB classique dans nos pays, dans les pays qu'on appelle développés, alors que dans les pays émergeants, les pays moins développés au sens économique du terme, l'économie étant moins monétarisée, il y a plus de troc, à ce moment-là, ces activités là ne sont pas comptées dans le PIB, donc, ça veut dire aussi que le PIB augmente lorsque une activité passe du secteur non marchand au secteur marchand, alors qu'entre nous, bien sûr, l'accroissement du bien-être général n'est pas la conséquence de ce transfert comptable. L'éducation, la qualité de la vie, le niveau de santé, la qualité des prestations de l'état et des administrations, les biens culturels, la beauté d'un site, celle d'un patrimoine, ce sont des éléments non monétarisés qui comptent beaucoup dans notre bien-être mais qui ne rentrent pas dans le calcul du PIB. Alors, on a même fait. des économistes ont fait un graphique comme vous le voyez ici, qui illustre le fait que le PIB par habitant n'est pas vraiment un si bon indicateur du bien-être. On voit qu'à partir d'un certain niveau de vie, un certain niveau de richesses monétaires, plus cette richesse monétaire augmente, cela ne veut pas dire que la satisfaction augmente, on voit que ça s'aplatit considérablement. Donc, ça veut dire que plus de PIB, c'est pas forcément plus de satisfaction. >> Je vois. Si j'ai bien compris, le PIB permet de comparer les pays entre-eux mais pas de mesurer l'inégalité à l'intérieur d'un pays. Est-ce bien cela Alain Grandjean? >> Alors, c'est une deuxième idée, c'est-à-dire que là ce que l'on vient de voir, c'est que l'augmentation du PIB, c'est pas forcément l'augmentation de la satisfaction du bien-être. En plus, le PIB d'un pays peut augmenter au bénéfice d'une minorité, alors qu'une partie croissante des ménages voit son niveau de vie se réduire et la pauvreté s'étende. Ce n'est pas toujours le cas, bien sûr, mais bien sûr qu'on peut observer des situations dans lesquelles il y a une augmentation du PIB alors qu'il y a une augmentation de la pauvreté et de la précarité. Cette évolution, d'ailleurs, il y a une croissance du PIB qui n'est pas forcément accompagnée d'une réduction des inégalités, elle caractérise à des degrés assez divers l'ensemble des grands pays développés depuis les années 70, comme nous l'avons déjà vu dans les sessions précédentes. Donc, au-delà de la distribution des revenus des patrimoines, le PIB ne tient pas compte non plus des inégalités dans l'accès aux services publics, à l'éducation, à la santé et à la culture, alors que ceci joue un rôle très important pour le bien-être actuel et futur de la population. >> Et sur les ressources, sur le climat, quelles informations peut nous donner le PIB? >> Alors, il y a vraiment un principe de base, c'est que le PIB n'est pas un indicateur de stock mais c'est un indicateur de flux. Or, le capital naturel, c'est un stock, c'est l'ensemble des ressources qui sont à notre disposition. Le PIB ne peut rien dire sur l'évolution de ce capital puisque ce n'est pas un indicateur de capital. D'ailleurs, si on reprend un peu l'histoire de l'économie et l'histoire du PIB, on constate que le PIB a été conçu à un époque où les ressources naturelles étaient implicitement considérées comme illimitées. Donc, du coup, le PIB de construction ignore la perte de capital naturel liée aux prélèvements sur les ressources finies. Le PIB, évidemment, de la même manière, ignore le concept de biodiversité. Il néglige aussi les pollutions, les atteintes à l'environnement et notamment celle qui va nous occuper dans plusieurs sessions, le changement climatique tant qu'aucun des agents économiques concernés n'en supporte un coût monétarisé. Tout ce qui n'est pas monétarisé n'est pas intégré dans le produit intérieur brut. En revanche et c'est ça qui est très étonnant et d'ailleurs souvent pointé du doigt, c'est assez paradoxal, les activités qui visent à remédier à ces atteintes à l'environnement, que ce soit dans le domaine médical, le soin des maladies suite à des pollutions, que ce soit dans le BTP, si on reconstruit tout un site après un gros évènement climatique ou après un accident industriel, toutes ces dépenses vont grossir le PIB grâce au fait qu'elles emploient des facteurs marchands. Autre exemple, le PIB ne prend pas en compte les émissions de gaz à effet de serre, le GES, autrement que de manière tout à fait marginale, par le biais des marchés de quotas d'émissions de CO2 qui existent en Europe et les tests carbone qui existent dans un certain nombre de pays du monde, mais c'est très à la marge par rapport à l'impact économique des émissions de gaz à effet de serre sur nos activités. Donc, du coup, on peut dire d'une certaine manière que la croissance mesurée aujourd'hui par le PIB est en sorte fictive ou en partie fictive puisqu'elle ne tient pas compte des coûts futurs que les émissions de gaz à effet de serre vont imposer aux prochaines générations. Or, comme nous allons le voir, l'essentiel de la croissance est lié à l'énergie et la grande majorité, plus de 80 % de l'énergie, est carbonée et faite à base d'énergie fossile qui quand elle brûle émet des gaz à effet de serre, du CO2. Dans une certaine mesure, tant que la croissance n'est pas découplée de son contenu en carbone, tout point de croissance engendré aujourd'hui, correspond à une décroissance future qui sera due aux impacts négatifs du réchauffement climatique dans les décennies qui viennent. C'est pas nouveau, le rapport au club de Rome, le rapport Meadows, qui avait été publié en 1972 qu'on a traduit par Halte à la Croissance ?, le soulignait, disait attention, si on ne tient pas compte de tous ces effets d'externalité, on va vers cette décroissance, voire vers un collapse. >> Mais alors la sacro-sainte croissance du PIB, cela peut être très dangereux. Y a-t-il des travaux en cours pour avoir un meilleur objectif que ce PIB? >> Le Conseil économique social et environnemental en France qui conseille le gouvernement en matière de politique publique, c'est la troisième assemblée, a publié en juin 2015, à l'issue d'un processus de consultation et de concertation important, ce n'est pas venu du crâne d'un expert, des recommandations pour un nouveau tableau de bord de l'économie qu'on va présenter, donc il ne s'agit pas de couper le PIB, il s'agit de le compléter. Une voix a été votée en France en avril 2015 qui oblige le gouvernement à présenter au parlement une fois par an à l'automne une série d'indicateurs complémentaires au PIB sur la base des recommandations du CESE. D'où viennent ces travaux? D'où vient ce mouvement qui est important, qui n'existe pas qu'en France, il existe au niveau international? Ces travaux se sont inspirés de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social qui a été créée en France début 2008, vous vous rappelez, au moment du Grenelle Environnement, autour de trois économistes dont deux Prix Nobel, Joseph Stiglitz, Amartya Sen les prix Nobel, et Jean-Paul Fitoussi qui est un économiste français qui avait dirigé l'OFCE. Les systèmes statistiques publics doivent intensifier la production de données dans les domaines complémentaires à ceux que couvre le PIB, c'est-à-dire les domaines sociaux et environnementaux. Ils doivent utiliser des indicateurs compatibles sur le plan international, on ne peut pas être seuls dans notre village gaulois, mais qui puissent aussi être fournis à un niveau local de manière à pouvoir relier le supra national, l'européen par exemple, au niveau local et au niveau national. Les citoyens doivent être associés au choix des indicateurs et à l'évaluation de leur évolution. C'est pour ça que c'est important, ce processus de conservation. Plusieurs économistes, en effet, on peut citer Robert Salais, ont souligné que la qualité et la fiabilité des indicateurs de pilotage d'une économie et de ses autres aspects vont de pair avec leur degré de proximité avec les populations concernées. Un indicateur qui serait plaqué sur un corps social, sur une économie, risque de ne pas être très bien renseigné. C'est connu aussi en entreprise. Et par ailleurs, les indicateurs doivent être aussi accessibles gratuitement et aussi facilement que possible. Ces indicateurs doivent être disponibles aussi assez vite pour permettre l'action. Ce n'est pas le cas aujourd'hui des données par exemple d'empreinte carbone d'émissions de gaz à effet de serre qui sortent trop tardivement. Ça veut dire, bien évidemment, tout ça n'est pas gratuit, que les systèmes statistiques publics doivent être dotés de moyens budgétaires correspondants. [BRUIT] >> Oui, je vois. Et sur le PIB précisément, qu'a décidé exactement le gouvernement français? >> Une approche dite de tableau de bord avec une dizaine d'indicateurs est préférable au seul chiffre du PIB pour appréhender l'ensemble des problèmes majeurs que pose ce qu'on appelle le développement durable. Le suivi pourrait être davantage mis sur la répartition des richesses et prendre en compte les activités non-marchandes. Par exemple, l'état de santé, le niveau d'éducation, le niveau de cohésion sociale, l'insécurité doivent être mesurés par des indicateurs chiffrés de manière à orienter les politiques publiques dans le domaine. Le stock de capital naturel et sa variation doivent pouvoir aussi être appréhendés. Des indicateurs physiques de soutenabilité doivent être élaborés, et un indice monétaire de soutenabilité pourrait mesurer ces aspects économiques. La démarche en est à son début. Les indicateurs et leur interprétation devront être testés, et le cas échéant améliorés avec une coopération européenne et internationale, bien évidemment. [BRUIT] >> Merci Alain Grandjean. Nous avons donc compris que le PIB est seulement un indicateur des flux monétarisés, et que son augmentation ne saurait être l'objectif principal d'une politique économique qui se veut au service du bien-être et du développement. [BRUIT] Pour conclure, nous vous proposons maintenant de visionner les dix indicateurs phares proposés en France pour compléter le PIB dans un tableau de bord de l'économie. Merci et à bientôt. [BRUIT] [AUDIO_VIDE] [BRUIT] [MUSIQUE]